Il est quand même particulièrement difficile d'imaginer que A Summer Place est le fruit des années 50, si l'on met de côté ce Technicolor bien baveux et cette musique de Percy Faith coordonnée par Max Steiner qui nous le rappellent régulièrement. Avec sa charge frontale contre la morale puritaine états-unienne de son époque, épousant un spectre très large qui va de la dénonciation des préjugés racistes intempestifs (la tirade de Richard Egan à l'encontre de Constance Ford restera mémorable) à la condamnation ferme d'une pudibonderie sexuelle perçue comme fondamentalement réactionnaire, le réalisateur-scénariste-producteur Delmer Daves ouvrait la voie à un renouveau du cinéma aux États-Unis.
Et oui, Delmer Daves, le cinéaste beaucoup plus connu pour ses westerns et ses films noirs que pour ses œuvres profondément contestataires... Même si la question de la morale semble avoir parcouru toute sa filmographie : le traitement des Indiens dans La Flèche brisée, la lâcheté commune chez les hommes de 3h10 pour Yuma, ou encore les ravages des lynchages à travers La Colline des potences. Cocktail détonant et détonnant ici, puisque c'est sur les rails d'un mélodrame on ne peut plus classique (et pour le coup très typés 50s) qu'est lancée l'histoire très premier degré de deux couples opposés par leurs valeurs et leurs classes sociales, qui aboutira à la formulation d'une critique extrêmement difficile à anticiper sur l'aigreur des adultes et de leurs références morales. Ce combo "canevas antique + exaltation d'une sexualité libertaire" est complètement inattendu.
L'autre vertu insoupçonnée du film tient à son exposition de deux configurations opposées en matière de sentiments, sur fond de décors d'île paradisiaque, avec d'un côté les rapports amoureux adolescents et de l'autre les émois pétris de contrition des adultes. Les premiers ne sont pas incroyablement passionnants, et très clairement peu aidés par le niveau d'interprétation de Sandra Dee et (surtout) Troy Donahue. Les difficultés pour vivre leur romance avec les contraintes sociétales au-dessus de leurs têtes sont intéressantes en soi, mais leur mise en scène reste globalement assez rigide. En revanche, la peinture des dilemmes sentimentaux des deux couples de parents est très convaincante, que ce soit dans leurs angoisses éducatives ou dans le surgissement difficilement contrôlable des passions du passé. Le thème de l'amour chez des personnages d'âge mûr est d'ailleurs un angle mort notable du cinéma de l'époque (et pour longtemps encore, à quelques exceptions près). Un film qui aborde la question du consentement, la dimension asynchrone des désirs, la passion à deux âges différents, et le regard parfois nauséabond sur le sexe que peuvent avoir certains — la scène du test de virginité, une horreur. Un incroyable festival de références au sexe, d'abord larvées ("Love must be more than just animal attraction", "It's no longer your day, it's their day", "The trouble with most parents is that they attribute their own guilty memories to their young") avant de s'expliciter pleinement ("So you insist on de-sexing her, as though sex was synonymous with dirt"). Un film dans l'ensemble hautement surprenant par la virulence de son discours. Une sorte de pré-code à la fin du maccarthysme, que l'on pourrait qualifier de Post-Code.
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