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Affiches officielle (et moche) et alternative (plus réussie)

London's Burning

Troisième film de Skolimowski (après l'incroyablement rigoureux Essential Killing et l'incroyablement fou Le Cri du sorcier), troisième claque dans un registre encore différent. Il est ici, dans Travail au noir ("Moonlighting" in english), beaucoup plus question de lui et de son pays, à travers l'histoire de ces quatre immigrés polonais qui arrivent dans le Londres de Thatcher pour retaper la résidence secondaire d'un riche Polonais. En apparence (et en apparence seulement), c'est donnant-donnant : moins cher pour lui, et l'équivalent d'un an de salaire en un mois de travail pour eux.

Le discours est tout autant social que politique. Le sous-texte politique est évident, on est en 1981, en pleine crise du Solidarność réprimé par Jaruzelski, et le contremaître incarné par Jeremy Irons y fait souvent penser. Bienveillant mais autoritaire, le seul à parler Anglais et donc détenteur d'un certain pouvoir, il ne tardera pas à en abuser. Il n'hésite pas à cacher à ses ouvriers (choisis bêtes et dociles, pensait-il, pour pouvoir les contrôler) des informations liées à l'actualité polonaise (l'instauration de la loi martiale notamment) et à déchirer des affiches du Solidarność pour ne pas troubler la progression des travaux. L'exploitation des pauvres par les pauvres, c'est tout un programme.

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Leur arrivée en Angleterre est rocambolesque et réussie, les sacs remplis de clous et autre matériel de construction. La mise en scène s'applique à montrer le décalage entre deux mondes, en s'appuyant sur une série de détails étranges : c'est une vieille mamie achetant de la nourriture pour son chien qui se fait épingler pour vol (alors qu'on s'attend à ce que ce soit l'immigré polonais relativement pauvre, 1200 livres en poche pour quatre personnes pendant un mois), la boutique de vêtement chic à côté de celle d'outillage (qu'ils fréquentent) qui lui rappelle sa femme et où il propose, tout à fait innocemment, une photo d'elle pour faire de la publicité pour la marque... Il sera d'ailleurs amené à commettre de petits vols, qui sont entièrement légitimés ici, car synonyme de survie pour la troupe : ce sera l'occasion pour Skolimowski de développer une sorte de chronique sociale empreinte de réalisme, le quotidien du voleur à la petite semaine avec ses petites combines, ainsi que les contraintes et les enjeux de cette conduite. Cette description est assez réussie et l'interprétation de Jeremy Irons y est pour beaucoup.

Tout au long du film, la résonance politique de cette histoire singulière se fait vivement ressentir. C'est une parabole plutôt juste, mettant dos à dos deux idéologies sur le thème du travail, vu comme une entité assez monstrueuse qui broie les hommes et les asservit. C'est un monde très dur, en partie dû au fait que les dialogues en Polonais (fréquents mais courts) ne sont pas sous-titrés et renforcent la brutalité de la relation entre les quatre larrons. La maison ploie sous le poids des travaux, des canalisations rompues, des fuites d'eaux usées, et de cette poussière omniprésente que le lieu semble vomir par tous ses orifices. Cette maison est une prison qui engloutit les quatre travailleurs, sur fond de lutte des classes au quotidien. Tantôt traitée avec humour et absurdité, tantôt abordée, l'air de rien, sous un angle froid, sec, et violent.

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