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Traumas et tremblements

Le style de Yoshishige (aka Kijū) Yoshida est immédiatement perceptible et regarder aujourd'hui Histoire écrite sur l'eau, c'est voir refaire surface en toute subjectivité nombre de ses films des années 1960 comme les très beaux Le Lac des femmes ou encore La Source thermale d'Akitsu, leur photographie noir et blanc éclatante, leurs cadres parfaitement composés, leur élégance de mise en scène faisant dialoguer toutes les fenêtres temporelles et tous les registres intimes, et fatalement, leur actrice en commun : la merveilleuse Mariko Okada.

Ce cinéma japonais avance avec des arguments esthétiques extrêmement convaincants, et agit comme une séance d'hypnose en captant l'attention dès le premier instant, au travers de ces visages cadrés avec minutie (qui parviennent à mettre en lumière des acteurs aussi inexpressifs que Yasunori Irikawa dans un des rôles principaux) ou de ces configurations de plan très inattendues (des éclairages étranges, des angles biscornus, des champs / contrechamps intégrant des occlusions peu courantes). C'est clairement sous l'angle de la séduction formelle que Yoshida fait entrer dans le récit en ce qui me concerne, bien avant que les termes de l'enjeu soient explicités. Ils sont pourtant particulièrement corsés : un homme sur le point de se marier est perturbée par la relation — passée et présente — entre sa mère, désormais veuve, et son futur beau-père, actuellement esseulé. Autant dire que Histoire écrite sur l'eau abondera dans les registres de l'adultère, du traumatisme infantile (sans surcouche freudienne), de la frustration, et de la relation incestueuse (le film nous gratifie d'une ellipse mémorable à ce sujet).

Le film épouse l'état d'esprit de Shizuo, pris entre deux feux féminins, sa femme (Ruriko Asaoka) et sa mère (Mariko Okada), interprétées par des actrices dont la différence d'âge est exagérément réduite afin de renforcer la confusion. Yoshida est très habile pour structurer le récit en flashbacks et dévoiler progressivement des bouts du passif familial, éclairant à chaque fois une nouvelle zone dans la psychologie de Shizuo, et révélant ses doutes, ses obsessions, ses désirs — et ses blocages. À la stylisation extrême de la réalisation répond un accompagnement sonore aiguisé à souhait et un crescendo des tourments qui prennent en étau les quatre personnages, avec pour passerelle entre les deux l'ombrelle dont la mère ne se séparait jamais et qui traverse les époques et les lieux. D'un double suicide l'autre, avec sa conclusion étonnamment explicite (étant donné le niveau très fort de suggestion du reste, elle génère un léger inconfort) et pétrie de frustration pour Shizuo, le film ne se départira jamais de sa froideur mortifère, toujours subtile, mais malgré tout un peu éreintante sur la durée.

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