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"Viewed from a safe distance, the atomic bomb is one of the most beautiful sights ever seen by man."

The Atomic Cafe est une petite perle du cinéma documentaire américain, confectionnée à partir d'un collage très harmonieux de centaines de documents en tous genres ayant trait à l'avènement de l'ère atomique. Avec 300 000 dollars, le trio de réalisateurs Kevin Rafferty, Jayne Loader et Pierce Rafferty ont produit une fresque vertigineuse sur le climat paranoïaque qui fut instauré au sein de sa propre population par les gouvernements successifs des États-Unis pendant la Guerre froide. Du largage de la première bombe atomique de l'histoire sur la ville d'Hiroshima aux essais nucléaires à répétition aux quatre coins de la planète, le film brasse trois décades (40s, 50s et début des 60s) de manipulation institutionnalisée de l'opinion comme aucun autre pays au monde ne sait le faire, c'est-à-dire ouvertement, au nom de la défense des saintes valeurs de la liberté. Si vis pacem, para bellum dans toute sa splendeur, et quel qu'en soit le prix — économique, psychologique, et physique.

Le documentaire est sorti en 1982 aux États-Unis, à l'apogée de la désillusion en quelque sorte, peu après la fin de la guerre du Vietnam, le scandale du Watergate, et la course à l'armement interminable avec l'Union soviétique — on trouvera d'ailleurs une séquence désopilante dans laquelle Richard Nixon et Nikita Khrouchtchev font un discours commun, lors de l'exposition nationale américaine à Moscou en 1959. Tout ce que cette époque peut renfermer comme nostalgie et cynisme se trouve magnifiquement condensé dans ces 90 minutes dressant le portrait de gouvernements qui n'ont eu de cesse de minimiser les dangers de la bombe nucléaire et de fabriquer du consentement. Les militaires qui essaient de convaincre avec une bienveillance totale les populations de l'atoll de Bikini du bien-fondé des essais nucléaires, un grand moment. Il y a franchement de quoi rester bouche bée devant cette compilation à haute teneur en humour noir, avec en toile de fond tout ce que la Guerre froide peut comporter comme discours de propagande.

De clips promotionnels réalisés par le gouvernement en films éducatifs à destination des enfants, de publicités en morceaux de country, de matériel de formation militaire en captations documentaires d'explosions nucléaires, le kaléidoscope de sources ainsi assemblées fournit une vision aussi drôle que sidérante de cet état d'esprit, circonscrit à un cadre géographique et temporel bien précis. Ainsi, à travers des reportages autant que des dessins animés, on apprend comment survivre à une attaque nucléaire (séquence hilarante du "duck & cover!" répété inlassablement, que l'on pourrait traduire par "plonge et couvre-toi !", montrant une série de personnages, enfants, parents, ouvriers ou militaires, s'exécuter dans la joie et la bonne humeur lorsqu'une explosion factice survient) et comment la construction des abris atomiques est devenue une nécessité absolue autant qu'un redoutable argument marketing. Quand vient le moment où un film d'entraînement militaire nous explique que "viewed from a safe distance, the atomic bomb is one of the most beautiful sights ever seen by man", dans un élan poétique hasardeux, The Atomic Cafe prend une dimension absurde fantastique, à la frontière du surréalisme.

Une mosaïque atomique ahurissante, pratiquée avec un humour de très bon goût.

img_atomic (1).png, juil. 2020 img_atomic (2).png, juil. 2020 img_atomic (3).png, juil. 2020 img_atomic (4).png, juil. 2020 img_atomic (5).png, juil. 2020 img_atomic (6).png, juil. 2020 img_atomic (7).png, juil. 2020 img_atomic (8).png, juil. 2020