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L'île à nu

En se focalisant sur un triangle amoureux formé par Macha, la rayonnante travailleuse en chef d'un kolkhoze isolé sur une île russe, et les deux marins Youssouf et Aliocha dont le bateau s'est échoué non loin de là, Au bord de la mer bleue se cantonne à un récit romantique d'une grande simplicité. Mais une simplicité éloquente, qui confine à la pureté, exaltée par les rayons de soleil qui irradient les côtes de cette île, magnifiant ses plages et ses vagues. Le charme absolu de cette romance délicate, innocente, limpide, et totalement dénuée d'enjeux idéologiques explicites, a quelque chose de très apaisant, de rassérénant et presque sécurisant. Dans le cadre du cinéma parlant à la lisière du muet, au large de l’Azerbaïdjan, perdu quelque part au milieu de la mer Caspienne, la fausse naïveté d'une telle comédie sentimentale donne à cette échappée amoureuse un parfum de liberté incroyable, comparable à la deuxième partie de Monika où les deux amoureux partagent une idylle sauvage sur l'île suédoise d'Orno.

Tout le film baigne dans une atmosphère incroyablement douce, où chaque moment de joie pure semble discrètement enveloppé dans un voile de mélancolie diffuse. Après le naufrage de leur navire en pleine tempête, les deux marins atteindront le rivage du kolkhoze baptisé "Feux du communisme" et entreront dans un univers où règnent le naturel et la spontanéité, et où le politique semble pratiquement éradiqué. Chose relativement étonnante pour une production de 1936 en Union soviétique... À l'image de l'ordre d'affectation du mécanicien, qui voit le tampon officiel de l'administration soviétique effacé par les flots presque magiques de l'île, on pénètre dans un monde paradisiaque et plein de promesses, un peu comme dans un conte avec tous ses enchantements.

La structure de la romance en triangle, la simplicité apparente des échanges entre les personnages, et la composante marinière de l'ensemble font irrémédiablement penser à deux autres œuvres qui lui sont contemporaines, également magnifiques : Sous les Ponts (Helmut Käutner, Allemagne, 1946) et L'Atalante (Jean Vigo, France, 1934). Les trois films partagent aussi une dimension poétique prononcée, plus ou moins exacerbée, plus ou moins naturelle, plus ou moins graphique. Chez Boris Barnet et Samad Mardanov, la quête des deux marins en direction de Macha est éperdue, profondément troublée, comme perdue d'avance tant la femme se dérobe sous leurs yeux dès qu'ils s'en approchent trop près. Et cet adieu en chanson, lorsqu'ils comprennent les raisons de leur échec commun, soudant définitivement les liens de leur amitié, est (à deux doigts d'être) bouleversant.

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