dans_l-oeil_d-un_tueur.jpg, nov. 2020
"What do you mean by birds? They're my eagles in drag!"

L'exploration du territoire américain et de la culture des États-Unis par Werner Herzog a quelque chose de passionnant, et presque envoûtant pour un fanatique de mon espèce, quand bien même je ne connaîtrais qu'un tout petit bout de cette partie-là de sa filmographie — tout ce qui se situe après le gros morceau 1968 - 2003, de Signes de vie à Bruno S. - Estrangement is death, disons, ne m'est pas encore très familier. À quand le volume 4 du coffret Potemkine, d'ailleurs ? Ils doivent vraiment attendre qu'un malheur arrive pour décider s'il faudra en éditer encore un ou deux pour couvrir l'intégralité de son œuvre... Mais je m'égare.

Dans mon imaginaire herzogien, Dans l'oeil d'un tueur se rapproche étonnamment de Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans dans son esthétique, dans son surréalisme discret, et dans l'interprétation hallucinée de son protagoniste. Il suffit presque de remplacer la vision étrange d'un crocodile par celle de deux flamands roses et la Louisiane par la région de Californie près de San Diego... Mais Nicolas Cage est irremplaçable, bien entendu. En tout état de cause, la présence de Michael Shannon donnerait envie de le rapprocher de Salt and Fire, à tort car les tonalités des deux films n'ont vraiment pas grand-chose en commun. Une photographie irréelle de ces lieux, voire uniquement de cette portion de rue où s'est joué un drame inspiré d'un fait divers des années 70, avec ces ombres contrastées et ces lumières de plein jour atténuées, suffit à créer un environnement très bizarre : cette fois-ci, la frontière opaque entre réalité et fiction se situe à l'intérieur même du récit, dans le fait divers qui sert de base, puisque la pièce Oreste sera retranscrite au sein du foyer du tueur.

Et pour illustrer la folie mystique ésotérique d'un homme qui tua sa mère à coup de sabre, dans une répétition impromptue d'une tragédie grecque, qui mieux que Michael Shannon et son regard de psychopathe qu'il délivre sans forcer... Sans parler de la boîte de céréales avec une tête de quaker qu'il décrit comme la manifestation de dieu. Le flashback qui le transporte au Pérou (tiens donc), dans les moments qui ont précédé son pétage de plombs et sa révélation spirituelle, est immédiatement intelligible. Et toujours cet humour omniprésent, presque invisible si on n'y prête pas attention, disséminé dans tous les dialogues de cette histoire pourtant sordide. Une histoire pareille à la lisière du surnaturel sied finalement plutôt bien à une production signée David Lynch, inspirée de l'histoire réelle du parricide commis par Mark Yavorsky. Avec sa pléthore de têtes connues (Willem Dafoe, Chloë Sevigny, Udo Kier, Michael Peña, Brad Dourif, et même Dave Bautista), Herzog semble prendre un malin plaisir à verser dans la subversion et le détournement de codes du cinéma américain.

repas.jpg, nov. 2020