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Théorie. Hypothèse. Expérimentation. Démonstration : traverser l'océan Pacifique sur un radeau.

Le Kon-Tiki de 2012, un sympathique film norvégien aux allures de biopic hollywoodien, même s'il n'arborait pas les tares, raccourcis et autres facilités du genre, ne permettait en rien de saisir la véritable étendue de la mission, la fameuse "expédition du Kon-Tiki". Ou comment, en 1947, le biologiste Thor Heyerdahl, suite au scepticisme de ses pairs au sujet d'une théorie qu'il publia dans une revue scientifique, mis au point l'expérience qui permis de démontrer la validité de son hypothèse. Et en l'occurrence, il ne s'agissait pas d'une petite manip circonscrite au cadre d'un laboratoire de recherche, mais tout simplement de la traversée de l'Océan Pacifique à bord d'un radeau.

Heyerdahl souhaitait prouver que le peuplement originel de l'archipel polynésien avait pu se faire à partir du continent sud-américain, bien avant l'arrivée de Christophe Colomb au 15ème siècle, dans ses imposantes caraques et ses solides caravelles. Lorsqu'il soumit cette théorie à l'époque, un anthropologue américain, Herbert Spinden, lui répondit avec un certain dédain “Sure, see how far you get yourself sailing from Peru to the South Pacific on a balsa raft!”. Loin de se dégonfler, il prit cette semi-injonction au pied de la lettre. Avec cinq compagnons de galère également dotés d'une fougue considérable, il construisit un radeau avec pour objectif le ralliement d'une île quelconque de la Polynésie depuis Callao, au Pérou. Mais pas n'importe quel radeau : un qui serait construit dans les règles de l'art, en respectant les traditions de l'époque en question, à base de bois de balsa et de cordes uniquement, sans aucun rivet, sans le moindre clou. Sans rien savoir des chances de succès d'un tel périple, basé sur une hypothèse reposant sur la simple observation de similarités entre des sculptures trouvées dans des îles au Sud de la Polynésie et des reliques de civilisations éteintes découvertes en Amérique du Sud (le nom du film et du radeau, Kon-Tiki, provient de l'ancien dieu du soleil inca), l'embarcation était lancée pour un voyage qui allait durer 101 jours sur plus de 8000 kilomètres.

Nul besoin de romancer une telle histoire pour produire du divertissement : une simple caméra embarquée par les cinéastes amateurs à bord de leur radeau suffit à produire son lot d'émerveillements.

Kon-Tiki, bien que récompensé d'un Oscar du meilleur film documentaire en 1952, reste une œuvre tournée par des amateurs : aucune mise en scène, hormis la présentation du projet en introduction, à destination du public international. Heyerdahl se contente de recenser des anecdotes, au gré de leurs (nombreuses) apparitions, et des surprises les accompagnant de manière presque systématique. Le canot pneumatique, utilisé pour filmer le Kon-Tiki de l'extérieur en pleine mer, et les difficultés (incluant des noyades évitées de justesse) pour rattraper le radeau et remonter à bord étant donné sa vitesse. Les astuces omniprésentes, pour mesurer la vitesse du bateau en connaissant sa longueur, pour construire une cage sous-marine à l'aide d'un panier pour résister aux attaques des requins. Le petit-déjeuner servi directement sur le pont de l'embarcation, au réveil, en ramassant avec une poêle tous les poissons-volants échoués là durant la nuit. Un perroquet embarqué avec eux, particulièrement curieux et amateur de mets marins, qui parlait l'espagnol avec un certain accent portugais et qui disparu emporté par une vague. Les découvertes piscicoles incessantes, des immenses requins-baleines au plancton à peine visible mais extrêmement nourrissant. L'ultime difficulté, insoupçonnée, au niveau de la barrière de corail battue continûment par les vagues et rendant l'accostage périlleux. On imagine sans peine l'état second dans lequel ils devaient tous se trouver, en foulant la terre ferme et le sable fin, pour la première fois en plus de trois mois. "We were never really bored" : on n'a pas de mal à le croire.

Des aventures de cette envergures, le cinéma nous en avait gratifié, déjà, à l'époque. Celle de Ernest Shackleton, à la conquête du pôle Sud de 1914 à 1917, racontée dans South, de Frank Hurley (1919). Celle de Robert Falcon Scott de 1910 à 1912, avec exactement le même objectif, en concurrence avec Roald Amundsen, racontée dans L'Éternel Silence, de Herbert Ponting (1924). Ou encore celle des alpinistes George Mallory et Andrew Irvine, à la conquête de l'Everest en 1924, décrite au cinéma la même année par J. B. L. Noel dans L'Épopée de l'Everest.

Mais L'Expédition du Kon-Tiki n'a rien du caractère tragique de toutes ces expériences précédemment citées. Bien qu'on leur avait promis un échec certain, les aventuriers norvégiens s'étaient lancés dans cette épopée, dans cette démonstration à échelle humaine, avec un enthousiasme incroyable. L'expédition transpire la débrouille, la facilité, l'émerveillement, la modestie. La nourriture abonde, la navigation se fait naturellement au gré du vent, et seule une tempête de cinq jours, quelques requins, et la mort du perroquet semblent les avoir légèrement inquiétés. Rien d'étonnant : ils savaient que s'ils réussissaient, en plus de devenir la preuve vivante de leur hypothèse (on l'avait presque oubliée), ils gagneraient un pari leur créditant tout le whisky qu'ils pourraient boire jusqu'à la fin de leur vie.

La critique du livre : c'est ici.

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Le tracé de leur expédition.

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