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Les thermes de la vie

Quel est le meilleur angle d'attaque pour parcourir la filmographie d'un réalisateur qui inspire le respect ? Une approche naturelle consiste à découvrir son œuvre de manière chronologique, au gré de la disponibilité de chacun de ses éléments, en fonction des coffrets abordables et autres nouvelles éditions que l'on se fait offrir (Noël approche...) ou que l'on parvient à dénicher sur Internet. C'est en tous cas ma façon de procéder, plus ou moins classiquement, plus ou moins légalement. Picorer, à l'inverse, en piochant au hasard, selon l'humeur et l'envie, peut s'avérer riche d'enseignements et remplir de surprises un film à l'intérêt a priori limité.

La Source thermale d'Akitsu, c'est un peu Yoshida avant l'heure. L'étude d'une relation amoureuse singulière, vécue par intermittence, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Un concentré de son cinéma, diffus, disséminé çà et là dans la rigueur esthétique de l'ensemble, dans le soin apporté à la composition de chaque plan rappelant Ozu, dans ces couleurs sublimes dont l'alternance rythme les saisons tout comme la relation entre Shusaku et Shinko. La photographie est un élément central ici, c'est elle le véritable catalyseur de l'émotion, le moteur d'un récit en manque de dynamisme et poussif par moments, malheureusement. Le metteur en scène japonais cultive déjà une certaine recherche esthétique, il transpire un désir d'innovation du langage cinématographique qui trouvera quatre années plus tard son aboutissement, ou du moins sa continuation, dans Le Lac des Femmes. Le thème de l'eau, omniprésent à Akitsu, rappelle de manière anachronique Promesse, sorti en 1986, et ses réflexions sur le sens de la famille, sur l'euthanasie, et plus généralement sur la mort.

Et puis, surtout, il y a Mariko Okada, égérie et future épouse de Kijû Yoshida. On est encore loin de la grâce infinie et de la beauté froide qui irradient ses films à venir avec le même réalisateur ou ceux tournés avec Naruse (Nuages Flottants) et Ozu (Le Goût du saké), mais ses apparitions sont déjà la marque d'un certain charme et focalisent tous les regards. La caméra de Yoshida n'a d'yeux que pour elle, comme en témoigne la série de photos ci-dessous. Chacune de ses retrouvailles avec Hiroyuki Nagato, lors de ses retours incessants qui ne font que remuer le couteau dans la plaie, est un moment de renaissance plus intense. Le lieu du titre, petit coin de paradis perdu dans les montagnes, semble déconnecté du réel, en marge de la vie citadine et de ses occupations. Un retour aux sources hors du temps, apaisant, un petit village qui semble conserver la jeunesse et la beauté de ses habitants. Ces instants-là seraient parfaits si une musique agaçante, vraiment insistante, ne venait pas régulièrement corrompre cette harmonie.

Dernière composante essentielle de La Source thermale d'Akitsu : le temps, celui qui passe inexorablement et qui marque l'histoire des uns et l'Histoire de tous. On retrouve un thème cher à Ozu, ce regard légèrement en retrait porté sur la vie, sur ces transformations lentes qui façonnent les corps et les esprits. L'opposition douce mais ferme entre deux visions irréconciliables du Japon, à l'issue du traumatisme nucléaire, s'empare des deux protagonistes : une vision ancrée dans le passé, la stabilité et les valeurs des traditions, et une vision résolument tournée vers le futur, la reconstruction nécessaire et les bouleversements humains à venir. Le regard de Yoshida, s'il n'atteint jamais la profondeur ou la puissance de ses modèles, reste sincère et sombre quant à l'avenir de son pays, déchiré entre ces deux visions contrastées qui se tournent le dos. Un sentiment morbide plane sur le film et scelle cet antagonisme entre la droiture des uns et la pusillanimité des autres. C'est là qu'il faut reconnaître le talent du réalisateur, dans cette combinaison antithétique, à la fois audacieuse et dérangeante, entre un discours sinistre, conscient de la schizophrénie latente du Japon d’après-guerre, et son illustration dévastatrice à la beauté formelle inoubliable.

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