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Essai binaire sur la gestion des forêts

On questionne très souvent la qualité des cultures liées à l'agro-alimentaire, en termes de productivité, d'intrants phytosanitaires, de biodiversité, de préservation des sols ou encore de gestion durable via l'agroforesterie, mais la question qualitative se pose très rarement dans le cadre de la gestion de la forêt. Un raccourci discursif consiste à considérer comme forêt n'importe quelle région boisée, de manière indifférenciée, qu'il s'agisse d'un coin de nature authentique ou d'une monoculture de conifères sélectionnés et plantés de façon à maximiser le rendement de la ressource en bois à destination des grandes surfaces de bricolage. À travers cette opposition binaire, dans une logique presque pédagogique, Le Temps des forêts prend le temps de poser le cadre d'un débat assez peu répandu mais très intéressant.

Même s'il ne s'agit pas d'un film à thèse, la dimension militante se fait parfois un peu sentir, au détour de certaines considérations manichéistes : il y aurait d'un côté la logique productiviste purement comptable ("on plante l'essence qui produit le plus, on élimine tous les autres végétaux, on attend quelques dizaines d'années, on coupe, et on recommence"), et de l'autre la gestion raisonnée et historique des forêts telle que l'ONF l'assurait pendant des décennies, jusqu'au début du 21ème siècle. La confrontation entre ces deux logiques est sans doute un état de fait aujourd'hui, mais il manque tout de même beaucoup d'informations, d'éléments de contexte et de témoignages pour se faire sa propre idée à ce sujet. Attendre le générique de fin pour citer les noms et fonctions des personnes interviewées n'est en outre pas une très bonne idée quand on désire savoir qui s'exprime et depuis quelle position. Mais le documentaire a quand même le mérite de souligner un problème de fond : derrière les chiffres flatteurs affichés par les institutions (les surfaces forestières françaises sont en augmentation), à la différence des problématiques de déforestation dans d'autres régions de la planète, il serait ici question de "mal-forestation".

La démarche de François-Xavier Drouet est tout de même très appréciable, en ces temps de délires anthropomorphiques sous acides et d'analogies douteuses comme peuvent l'exhiber des films tels que L'Intelligence des arbres, à grand renfort de "plante mère" qui éprouverait de "l'amour" pour ses "enfants" et autres "voisins". L'opposition entre la mécanisation lourde (avec des engins de chantier impressionnants) et l’abatage à l'ancienne (avec une tronçonneuse, qui était sans doute il y a quelque temps elle-même le symbole de la mécanisation de l'abatage à la hache ou au merlin) relève un peu de la confrontation binaire, mais il y a derrière cela une illustration de l'évolution de la gestion de la sylviculture qui fait largement écho aux différences de modèles de l'industrie agricole. Du Limousin aux Vosges en passant par la Montagne noire, entre épicéa, châtaigner, chêne ou pin Douglas, le constat semble s'uniformiser.

Le même caractère binaire se retrouve dans l'opposition entre le politique et le garde forestier, avec d'un côté celui qui prône la modernisation ou la logique industrielle, et de l'autre celui qui revendique la connaissance technique du terrain et de tous les à-côtés (biodiversité, captation du carbone, diminution de l'érosion, réserve d'eau, etc.) niés par une gestion comptable. On ne saurait lui donner tout à fait tort sur ce point-là, tant les discours politiques, par exemple sur ce sujet, confinent souvent à la caricature. Des discours qui cherchent à nous persuader, la main sur le cœur, que l’exploitation d’une ressource vivante telle que l’arbre peut se calquer sur celle d’un stock de PVC, et que s’y opposer équivaudrait à refuser le progrès, la modernité, et la marche du monde.

La problématique, en définitive, revient presque à une considération d'ordre sémantique : peut-on appeler une forêt une parcelle boisée dans laquelle seul les pins Douglas sont autorisés à pousser et où l'on n'entend aucun oiseau chanter ?

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