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Regard double sur la banlieue

C'est peut-être l'une des seules fois que je n'ai pas eu l'impression de regarder un film dit "de banlieue" en me sentant harassé par sa pléthore de clichés, par son manque d'ambition, ou par la pauvreté de ses problématiques. Tout ce qui nous est montré ici semble couler de source, et le naturel des interactions, si l'on excepte quelques séquences un peu maladroites, est remarquable. Je ne connais ni l'environnement de la réalisatrice, ni son rapport au sujet ou aux acteurs, mais je suis persuadé qu'on pourrait y trouver les raisons d'une telle réussite.

Regarde-moi cache très bien son jeu. L'air de rien, il propose un regard sur un environnement social particulier (usé jusqu'à la corde au cinéma), une cité de banlieue et l'articulation de plusieurs groupes de jeunes y vivant, à la fois original, vif et apaisé. Il cristallise ses enjeux de manière percutante dans un cadre réaliste. L'air de rien, encore, il propose une mise en scène élégante, avec un artifice narratif sous-jacent que l'on ne nous assène pas lourdement, que l'on ne nous impose pas de tout son poids. Le principe du récit qui offre deux fois la même histoire mais vue sous deux angles différents, d'abord masculin dans la première moitié avant d'aborder l'angle féminin dans la seconde, est à la fois totalement assumé, bien pensé et bien amené : il n'essaie pas de nous éblouir dans sa virtuosité et se cantonne à un pragmatisme discret et bienvenu.

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Tout se passe très naturellement, tout en nuances, dans le fond et dans la forme. Le soin apporté à la description du milieu (le fond) comme le glissement d'une perspective à l'autre (la forme) est très appréciable. Même le contenu potentiellement racoleur d'une séquence violente est géré avec un tact cinématographique rare. Seuls quelques tics persistent, seules quelques initiatives ratées peuvent s'avérer un peu dérangeantes, et on peut sans doute attribuer cela au fait que ce film constitue la première incursion d'Audrey Estrougo du côté de la mie en scène.

Le quotidien d'une série de jeunes quelconques, dans une banlieue quelconque, avec des occupations quelconques. D'une situation initiale banale, le film progresse lentement vers des zones de tension et laisse apparaître des failles, des existences déstructurées. Toute la première partie axée sur le quotidien des garçons, sur le paraître, sur le poids du regard et la honte des apparences, laisse place à mi-chemin au même univers vécu par l'autre moitié, féminine, de la population. Le contre-champ offre une multitude d'enseignements. Les contraintes changent de registre et d'envergure, les compromis gouvernent les existences. La dureté du visage d'Eye Haïdara, noire, avec sa perruque blond platine, renvoie à la sécheresse d'une séquence de coupe de cheveux radicale de sa rivale, blanche. La brutalité, la fragilité, la violence et la détresse de ce monde étouffant sautent aux yeux, comme en prise directe avec les sources multiples d'une aliénation démultipliée, à l'image du point de vue double qu'aborde Regarde-moi dans la forme. Une démultiplication qui fait pleinement sens dans le contre-champ ainsi initié.

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