dimanche 20 octobre 2013

Montessori, Freinet, Steiner... Une école différente pour mon enfant ? par Marie-Laure Viaud

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Est-ce-que les méthodes alternatives d'enseignement permettraient de ne plus contribuer à consolider les hiérarchies qui structurent la société..? de ne pas reproduire les inégalités de classe en classe..? Mieux encore de s’épanouir à l'école.! Le témoignage lucide et représentatif de Henri Deruer paru dans Rue89 sous le titre « Mon fils a fait sa première rentrée. J’aurais voulu autre chose pour lui » reflète bien l'opinion générale, et exprime une réalité scolaire dans laquelle la plupart d'entre nous pourront se retrouver.

Car, lorsqu’il est question du « système » scolaire français actuel, je me représente celui qui s'inscrit dans une logique forte de sélection, d’orientation. Celui qui s’accommode comme il peut de l’inégale répartition du capital économique, culturel et social sur le territoire. Celui qui se met à la norme de l’employabilité, de l’efficacité, et de la performance. Celui aliénant qui porte nos choix vers les établissements et les filières qui débouchent sur les titres scolaires les plus facilement monnayables sur le marché du travail.

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Marie-Laure Viaud est docteur en sciences de l'éducation, spécialiste des écoles alternatives. Elle nous présente de façon aussi objective que possible le fonctionnement de ces écoles et de ces pédagogies « différentes » créées par des enseignants, des médecins, des psychologues et des philosophes qui - depuis près de cent cinquante ans - explorent la possibilité d'un autre modèle d'école. Consciente que sa personne, ses jugements, et son idéologie influent même à son insu sur ses analyses et ses interprétations, elle construit ce document en donnant une représentation fidèle de ces classes qu'elle a longuement observées.

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Sommaire du livre. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Le livre commence avec les mots d'Adolphe Ferrière (début du XXe siècle) dont la critique acérée pique dans le vif du sujet :

« Et sur les indications du diable, on créa l'école. L'enfant aime la nature : on le parqua dans des salles closes. L'enfant aime bouger : on l'obligea à se tenir immobile. Il aime manier des objets : on le mit en contact avec des idées [...]. Il voudrait raisonner : on le fit mémoriser. Il voudrait s'enthousiasmer : on inventa les punitions... »

Dans son introduction, Marie-Laure Viaud pose la question suivante « Pourquoi y a-t-il si peu d'écoles différentes ? ». Elle avance plusieurs éléments de réponse que je retranscris ici car cette analyse me paraît essentielle :

On peut considérer que les écoles différentes, privées ou publiques, scolarisent environ vingt mille élèves, sans compter l'enseignement professionnel et les classes Freinet isolées dans des établissements classiques. La majorité d'entre elles reçoivent un nombre de demandes d'inscription bien supérieur au nombre de places offertes :  par exemple, l'école Decroly reçoit chaque année de cent à cent cinquante demandes pour vingt-cinq places. Comment expliquer que ces écoles soient si peu nombreuses ?

En premier lieu, la mobilisation des citoyens en faveur de ce type d'école n'a jamais été suffisamment importante pour contraindre l'Education Nationale à ouvrir davantage d'établissements de ce type dans l'enseignement public. Les parents sont plus souvent demandeurs de réussite aux examens que d'épanouissement ; ils mobilisent leurs ressources pour soutenir l'effort scolaire de leurs enfants, cherchent la « bonne école » ou la « bonne classe » - celle où l'on fera allemand première langue, option théâtre. Ce type de comportements n'incite pas à des engagements collectifs ni à la recherche d'une amélioration générale de l'école. Le faible intérêt des enseignants pour les pédagogies nouvelles tient notamment au fait que ces pédagogies sont présentées dans les instituts de formation des maîtres (IUFM). Les mouvements qui pourraient relayer de tels projets, comme les Verts ou Attac, s'intéressent davantage aux problèmes éducatifs sous l'angle de la dénonciation de la « marchandisation » de l'école. Ils ne constituent donc pas des relais auprès des milieux populaires. Quant aux décideurs et aux politiques, ils ont souvent été de bons élèves dans le passé et ont du mal à remettre en cause un système qui leur a permis de réussir...

En second lieu, les écoles différentes sont mal connues et leur représentation dans l'imaginaire collectif est ambigüe. La moindre émission de télévision, le moindre article dans une revue grand public déploie le mythe : « il existe quelque part, très loin, un endroit (une école) extraordinaire...», une école où les adolescents seraient heureux de se rendre chaque matin, où ils se passionneraient pour les apprentissages, où ils pratiqueraient des activités sportives et artistiques épanouissantes, et ce par la magie de quelques éducateurs géniaux... Mais, dans le même temps, ces écoles suscitent un certain effroi : elles sont associées aux écoles parallèles des années 1970, au laisser-faire, au laisser-aller ; on imagine que l'on n'y apprend pas grand-chose ou qu'elles sont destinées uniquement à des enfants « spéciaux ». On leur adresse des jeunes en très grande difficulté avec lesquels on attend qu'elles réussissent là ou tout le monde a échoué, qu'elles fassent des miracles. La représentation de ces écoles se tisse donc entre l'émerveillement, l'effroi et les pratiques miraculeuses... loin du travail scientifique et des discours rationnels qui montrent pourtant le bien-fondé de ces méthodes.

La question est aussi politique. D'une part, les pédagogies nouvelles favorisent, bien plus que le système standard, l'esprit critique, la capacité à s'exprimer, à monter des projets, à prendre des responsabilités collectives. En un mot, elles forment des citoyens capables d'une contestation active de la société. D'autre part, si de tels établissements fonctionnaient correctement (avec des élèves et des moyens ordinaires et en nombre suffisant, afin que leurs résultats ne soient pas attribuables aux conditions de l'expérience), cela signifierait que la réponse aux difficultés actuelles de l'école est d'ordre pédagogique, et non d'ordre quantitatif, et que c'est donc la structure du système qu'il faut transformer.

Vous commencez certainement à percevoir la teneur de ce livre et le ton de son auteur. Il ne s'agit donc pas d'encenser les pratiques des pédagogies alternatives en adoptant une admiration béate. L'école standard pourrait sans doute mieux fonctionner si le ministère de l'éducation restructurait en profondeur la formation des enseignants. On rappellera qu'en 2010, la réforme Chatel a supprimé les cours en IUFM pendant l'année de stage, jetant les lauréats du concours dans des classes à plein temps et multipliant ainsi les cas d'abandon et de burn-out. Aujourd'hui, au lieu d'une entrée progressive dans le métier (par alternance), avec des stages d'observation avant le concours, puis des stages accompagnés dans la classe d'un maître-formateur, le gouvernement Hollande fait une resucée timorée de la formation, les étudiants auront donc deux années menées tambour battant pour obtenir le master, réussir le concours et effectuer les stages à mi-temps. Peu de chances de voir émerger des enseignants capables d'enrayer cette machine à sélectionner les élèves, ils n'auront d'autres choix que d'appliquer les vieilles recettes à défaut d'avoir eu le temps propice à une formation critique et intégrée.

Parlez à de jeunes diplômés des méthodes Montessori, Steiner, Freinet, il y a fort à parier qu'ils n'en connaissent ni les pratiques, ni les enjeux. Pourtant elles ouvrent à une réflexion humaniste (l'adjectif ne me semble pas galvaudé ici) des méthodes d'enseignement. Les enseignants Freinet, par exemple, veulent former des citoyens capables d'agir sur le monde : une grande partie de leur travail consiste donc à développer le sens critique de leurs élèves, à leur apprendre à travailler en groupe, à s'écouter, à s'organiser, à prendre des décisions démocratiques, et à monter des projets collectifs dès la petite enfance.

Ces méthodes sont diamétralement opposées sur des points majeurs, ce qui peut rendre perplexe n'importe quel néophyte comme moi sur le sujet, et j'imagine bien plus encore les parents qui attendent des réponses claires sur l'éducation à promulguer à leur enfant. Car s'il est bien question de l'école dans ce livre, il en est tout autant de l'enseignement des savoirs et des savoir-être par les parents à leurs enfants (cf. principalement les chapitres 7 - 8, et - 9). Concernant les sujets qu'opposent Steiner, Montessori, Freinet et les Pédagogies Institutionnelles, je pense notamment aux passages sur : la part de temps du travail individualisé, le matériel pédagogique, les jeux des enfants, l'approche de l'écriture et de la lecture, l'enseignement des savoirs à partir de situations  « vraies » (et non « scolaires »), l'instauration des « métiers »  et des « ceintures de couleur » (cf. tableau ci-dessous), le nombre des sorties à l'extérieur de l'école.

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Une responsabilité - un métier - est attribuée à chaque élève : gardien du temps (il prévient lorsqu'une activité est terminée), jardinier (il prend soin des plantes), etc. Les ceintures correspondent à un certain nombre de compétences (donnant des droits et des devoirs différents aux élèves). Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Quant aux résultats de ces pédagogies alternatives, Marie-Laure Viaud y consacre plusieurs pages dans le chapitre 6 intitulé « Et après ? Les résultats de ces écoles ». Elle répond entre autres aux questions restrictives que je posais en accroche de la chronique, et elle élargit ces interrogations à d'autres aspects de comparaison. Mais au risque d'amoindrir davantage les idées et les analyses pertinentes de son auteur, je vous invite donc chaudement à vous procurer ce guide. Il constitue un document synthétique, et tourné assurément vers la pratique. J'insiste sur le fait que ces méthodes alternatives sont expliquées par des exemples concrets observés dans les classes existantes : structure d'une journée d'école, détails des activités, analyse des comportements des enfants, description du matériel, etc. Tout cela sans jamais être rébarbatif, faisant resurgir des souvenirs d'école et poussant à reconsidérer les pratiques des enseignants dont nous avons partagé les journées. Le paratexte est par ailleurs très riche et nous incite à poursuivre la découverte de ces méthodes sur internet (vidéos, sites web, publications, etc) ou à se déplacer dans ces écoles dont on trouvera une liste quasi-exhaustive à la fin du livre.


NB : Toujours autour du thème de l'école alternative, on pourra s'attarder sur le billet de Renaud, Du paradigme de l'éducation : « Ken Robinson says schools kill creativity ».

jeudi 05 septembre 2013

Ecole et Cinéma par Blow up

L'inventive équipe de Blow Up a concocté un pot-pourri de films mettant en scène la vie à l'école. Cela fête la rentrée et cela me permet d'annoncer une chronique « imminente » (hum!) sur le sujet des « écoles différentes ». Wait and see.

Lien : https://www.arte.tv/fr/videos/052433-004-A/ecole-et-cinema-blow-up/

mercredi 28 août 2013

Deux enquêtes de Hap Collins et Leonard Pine par Joe R. Lansdale

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Lire les deux dernières enquêtes de Hap Collins, le blanc hétéro et démocrate, et Léonard Pine, le gay noir et républicain, c'est la promesse de se fendre la poire avec leurs techniques très personnelles d'investigation, de s'attacher à deux grands cons impulsifs, de rire jaune de leurs excès de violence, de savourer leurs discussions féroces et leur sens cinglant de la répartie, de se réjouir du cœur mis à démolir tous les connards qu'ils rencontrent, d'être attendri par l'amitié inébranlable qui les unit, d'apprendre à faire le fendard même dans les pires situations, de goûter aux doux moments romantiques passés au milieu de la tempête, de vivre au final des aventures noires et truculentes.

Dans Vanilla Ride et Diable Rouge, un nouveau personnage fait son apparition : une femme fatale connue sous le nom de Vanilla Ride qui a fait de son métier, tueur à gages, un art dans lequel elle se révèle toujours la meilleure. D'affaires personnelles en affaires moins personnelles, les deux gus croisent sa route pour le meilleur et pour le pire faisant très vite connaissance avec sa redoutable réputation. Une note instructive de l'auteur nous avise :

« A vanilla ride » (« une chevauchée sans encombre ») signifie aller droit au but et sans détour. C'est aussi une relation sexuelle réussie. Une tueuse à gages ainsi nommée est donc forcément performante et sexy.

Les précédentes aventures de ces deux insolites et dangereux bienfaiteurs ne sont pas indispensables pour se plonger dans les derniers romans parus de la série, vous pouvez donc sans souci commencer par Vanilla Ride (septième de la série) et enchaîner illico sur l'épouvantable Diable Rouge. De plus, les autres opus de la série qui a débuté avec l'excellentissime L'Arbre à Bouteilles, ne sont pas tous du même tonneau.

mardi 19 mars 2013

Sous les Palétuviers avec Pauline Carton et André Berley (1936)


Extrait du film Toi c'est moi

vendredi 08 mars 2013

Soie, de Alessandro Baricco

    « ... C'était au reste un de ces hommes qui aiment assister à leur propre vie, considérant comme déplacée toute ambition de la vivre. On aura remarqué que ceux-là contemplent leur destin à la façon dont la plupart des autres contemplent une journée de pluie. »

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L'encéphalogramme est plat sur le site depuis quelques semaines. Nous nous trouvons accaparés ailleurs, le temps à consacrer à notre site se réduit comme peau de chagrin. Nous espérons revenir bientôt à des chroniques plus fréquentes. En attendant, je vois un billet de Renaud se préparer en coulisse sur un récit de voyage par un aventurier refaisant une des nombreuses routes de la soie (lire le billet en question). Plusieurs fois, sans nous concerter dans nos lectures, nous nous retrouvons tous les trois à lire ou à aborder des thèmes très proches dans nos chroniques. L'occasion se renouvelle avec Soie.

La route de la soie, c'est la voie empruntée par les caravanes pour transporter principalement la soie depuis la Chine ancienne jusqu'en Occident et qui a favorisé les échanges entre civilisations, ainsi l'Empire romain par exemple était par cette fameuse route de la soie en relations commerciales avec la Chine. Ce court roman de Alessandro Baricco qui se lit d'une traite, tisse en une centaine de pages une fascinante histoire d'amour et de guerre entre le héros - Hervé Joncour - et une jeune fille mystérieuse. Vers 1860, pour sauver les élevages de vers à soie contaminés par une épidémie, Hervé Joncour entreprend quatre expéditions au Japon pour acheter des œufs sains.

Cette route de la soie est un passage entre deux mondes et de lieux pleins d'oppositions : les monts du Vivarais en Ardèche et le Japon d'antan. Baricco utilise la répétition de phrases et de paragraphes de façon intéressante dans ce livre. Les voyages de 8000 km de Hervé Joncour au Japon sont traitées en seulement quelques lignes et répétées à quatre reprises dans le roman à la manière d'un refrain d'une chanson dans lequel on décèlerait quelques subtils changements. Il y a dans la beauté de cette histoire quelque chose d'évidemment romantique et de fabuleux propice à la rêverie. Cette sensibilité de l'auteur par ses aspects variés et par les émotions tendres et mélancoliques qui jaillissent au cœur de l'action peut malgré tout inspirer un léger sentiment de lassitude.

jeudi 10 janvier 2013

Le Démon : Une enquête de Jack Taylor, de Ken Bruen (2012)

« Le bien dont on n'use pas est enclin à se transformer en mal. »

Le démon, de Ken Bruen (2012)

Ce roman noir chouravé dans la hotte de Noël de mon fréro s'inscrit dans la lignée de Angel Heart de William Hjortsberg (fraîchement chroniqué ici) avec lequel on peut tirer plusieurs parallèles, à commencer par l'antihéros de l'histoire :

Jack Taylor,

Profession : détective privé, ex-flic mis à l'amende.
Genre : lettré, paumé, arrogant, cynique, alcoolique, et drogué.
Point particulier : on devine parfois chez lui une sensibilité à fleur de peau derrière un tempérament de tête brûlée.
Pedigree :
  • Delirium Tremens, Une enquête de Jack Taylor (2001)
  • Toxic Blues, Une enquête de Jack Taylor (2005)
  • Le martyre des Magdalènes, Une enquête de Jack Taylor (2006)
  • Le dramaturge, Une enquête de Jack Taylor (2007)
  • La main droite du diable, Une enquête de Jack Taylor (2008)
  • Chemins de croix, Une enquête de Jack Taylor (2009)
  • En ce sanctuaire, Une enquête de Jack Taylor (2010)

Ken Bruen fait partie de ces incontournables auteurs contemporains de romans noirs au côté de James Ellroy, Joe R. Lansdale, Cormac McCarthy - et bien d'autres - ou encore Fred Vargas, DOA, Serge Quadruppani pour ne citer que trois de nos plumes françaises. Bien que ce soit mon premier Bruen, je ne me suis pas senti en marge de l'histoire du fait de ne pas avoir lu les précédentes enquêtes de Jack Taylor. En prenant le train en marche, on s'expose bien sûr aux allusions à ses vieilles rencontres, à ses enquêtes révolues et à ses affres de passé d'ex-flic et de détective privé, mais rien qui pénalise ou gène dans le plaisir sardonique d'écouter le récit des déboires de Jack par Jack à la répartie savoureuse.

En essayant de fuir ses vieux démons, Jack Taylor se retrouve flanqué d'un Malin aux basques. Le récit entre-ouvre la porte du fantastique entretenant ce suspens qu'à tout moment les personnages pourraient en franchir le seuil. A l'instar de Angel Heart, le livre est épris du même souci de réalisme d'une époque, cette fois-ci la nôtre (crise financière, toussa toussa), et d'un pays, cette fois-ci feu sur l'Irlande : sa Guinness, son whisky, son patois, ses us, son catholicisme, ses petits gens, son chômage, sa précarité. Autre particularité, notre antihéros lettré, flânant de pubs en pubs pour se requinquer, balise son récit de nombreuses références littéraires, musicales, et cinématographiques jetées pêle-mêle aux lecteurs curieux. Son chemin jalonné de frasques cinglantes et de cadavres troublants se clôt - non pas en twist final façon Angel Heart - mais par un non moins démoniaque cliffhanger. Lisez le..! C'est exquis..!

vendredi 04 janvier 2013

Angel Heart, de William Hjortsberg (1978)

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Harry Angel,

Profession : détective privé.
Genre : antihéros, paumé et désabusé.
Point particulier : on devine parfois chez lui une sensibilité à fleur de peau derrière un tempérament de tête brûlée.
Enquête : en 1943, un célèbre crooner du nom de Johnny Favorite, a été grièvement blessé lors d'un raid de la Luftwaffe sur les forces alliées en Tunisie, après quoi il fut interné dans un hôpital où il se volatilisera quelques années plus tard. Harry Angel est engagé en 1959 pour le localiser pour le compte d'un client mystérieux qui se fait appeler Louis Cyphre.

Angel Heart aka Le sabbat dans Central Park de William Hjortsberg est un roman noir au dénouement diabolique qui a fait l'objet d'une adaptation à l'écran en 1987 par Alan Parker. Le roman est servi par une intrigue remarquablement bien construite qui devait mener le lecteur vers un twist final dont bien malin serait celui qui devinerait la chute avant les dernières pages. Roman qu'on trouvera aussi bien rangé en littérature blanche qu'en collection science-fiction (Folio SF) de quoi entretenir la confusion concernant le genre littéraire auquel il appartient. Un peu comme si certains ouvrages se prêtant mal à une classification précise peuvent se permettre de se chercher plusieurs chapelles.

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Le diable est dans les détails, c'est pourquoi, malgré l'ambiance fascinante du film, l'intrigue m'y paraît un chouïa décousue (en passant par exemple trop succinctement sur des rencontres clé) là où le récit s'articulait avec plus de fluidité grâce à sa construction "marabout, bout de ficelle". Le chef d'œuvre de William Hjortsberg reste un véritable page turner qu'il faudrait avoir lu avant de découvrir le film. Ce dernier n'en reste pas moins un petit bijou à la fois lumineux et ténébreux, une photographie époustouflante de la suburb américaine d'une époque pas si lointaine, et une bande son originale mirifique qui participe pleinement à l'ambiance délétère du film. Enfin, les acteurs brillants livrent chacun leur prouesse !

- Mickey Rourke incarne dans une interprétation pleine de fragilité, et de nervosité le détective privé Harry Angel. Le personnage est rongé par des cauchemars et des hallucinations morbides qui participent lentement aux glissements du film vers une atmosphère surnaturelle.

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- Lisa Bonnet interprète une jeune prêtresse Vaudou aux apparitions sulfureuses. Dans le livre, Epiphanie Proudfoot est la propriétaire d'une herboristerie.

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- Robert De Niro interprète Louis Cyphre avec un calme, un charisme et une autorité naturels. A l'image de cette scène où il est filmé entrain d'écaler des œufs durs et de les aligner en face de lui. Il révèle alors que dans certaines cultures, l'œuf est considéré comme le symbole de l'âme. Une réplique qui pourrait paraître grotesque dans de mauvaises mains devient tout simplement une scène culte grâce à son mordant.

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Cette magistrale enquête à tiroirs qui voit un antihéros empêtré dans un inquiétant milieu occulte nous repousse en dehors du domaine des choses habituelles, comprises, bien connues pour nous mettre face à la part d'ombre, des puissances mauvaises qui semblent guetter la vie, une lancinante musique du diable, que tout cerveau d'Homme porte en lui avec épouvante.

lundi 03 décembre 2012

Ciné SF d'en France

Je vous propose ici une sélection de 5 films forcément subjective de ce que je considère comme le meilleur du cinéma de science-fiction made in France. Ces films ne sont pas tout jeunes, et force est de constater que depuis le Cinquième Élément réalisé en 1997 par Luc Besson, on trouve peu de choses à se mettre sous la dent !


La Jetée - Chris Marker (1962)
à l'origine de L'Armée des Douze Singes de Terry Gilliam
La Jetée
Cet OFNI de 29 minutes qui se compose presque entièrement de photographies noir et blanc ou sépia, emprunte son étrange forme cinématographique à une visionneuse appelée « Pathéorama »  (cf. le texte de Chris Marker : C'était un drôle d'objet ). L'histoire se déroule après la « troisième guerre mondiale » et la destruction nucléaire de toute la surface de la terre. Le héros est le cobaye de scientifiques qui cherchent à rétablir un corridor temporel afin de permettre aux hommes du futur de changer d'époque. Le héros est obsédé par une image d'enfance. Hanté par le visage d'une femme, et la scène de la mort d'un homme sur la jetée d'Orly, il semble rejouer une version désorganisée et méconnaissable de sa propre vie. Le montage génial de La Jetée allie le fond (voyages ou virtualités temporels, et non-fiabilité ou imprévisibilité de la mémoire) à la forme du film (l'ordonnance labyrinthique des souvenirs du héros à travers une succession de scènes fixes). Chris Marker nous entraîne, grâce à une organisation inhabituelle du scénario, vers une fin dans laquelle s'invite un sublime paradoxe temporel.


Barbarella - Roger Vadim (1968)
d'après la BD de Jean-Claude Forest

Barbarella
Mon second est un nanar de la plus belle eau, à l'esthétique outrageusement kitsch et au scénario ouvertement humoristique. Barbarella est un conte futuriste avec des personnages aux figures manichéennes. Les aventures ubuesques de Barbarella - une space-blond-girl interprétée par la très séduisante Jane Fonda - sont rythmées par ses apparitions héroïques et « érotiques ». Au fil de ses péripéties, Jane Fonda apparaît vêtue de tenues toujours plus saugrenues, et toujours plus légères à l'image de la séquence d'ouverture où elle exécute un strip-tease en apesanteur s'extirpant doucement de sa combinaison spatiale au rendu aluminium du plus bel effet. Ce classique semé d'accessoires bizarres, de détails co(s)miques pourraient toutefois faire sentir le poids de la fatigue sur vos paupières ou soutirer d'inévitables éclats de rire face aux situations tragi-comiques de Barbarella. A bon entendeur.


La Mort en Direct - Bertrand Tavernier (1980)
d'après le roman de D.G. Compton
La Mort en Direct
Qui mieux que son immense réalisateur, Bertrand Tavernier, pour pitcher le film : « Dans le futur tel que je l’imagine, les gens mourront de moins en moins, grâce aux progrès de la médecine. Les rares moribonds deviendront des bêtes curieuses qu’on montrera à la télévision. La mort en direct est l’histoire d’un homme chargé de suivre une femme atteinte d’une maladie mortelle. Cet enquêteur a pour mission de filmer les derniers moments de Romy Schneider, grâce aux caméras qu’on lui a greffées dans les yeux. »

La Mort en Direct est une œuvre d'anticipation sur le thème de la télé-réalité, on trouve sur ce sujet un autre long métrage - plus orienté film d'action - réalisé par le réalisateur français Yves Boisset intitulé Le Prix du Danger et adapté d'une nouvelle de Robert Sheckley (auteur connu pour ses "parodies" des histoires de l'âge d'or [1920-1950] de la science-fiction). La Mort en Direct est une œuvre lyrique déchirante, l'action se déroule dans la ville de Glasgow mettant en scène des monuments de la ville tels que la cathédrale, la nécropole, le City Chambers et l'Université de Glasgow. Ce paysage écossais futuriste et ses visions de destructions urbaines dépeignent une société condamnée à la pauvreté. Cette chasse voyeuriste construite sur le mensonge débouche sur un dénouement où poésie et tragédie s'allient à une émouvante réflexion sur l'acceptation de la mort. Romy Schneider y est superbe.


Malevil - Christian de Chalonge (1981)
d'après le roman de Robert Merle
Malevil

Mon quatrième est une histoire post-apocalyptique qui se déroule dans, et autour du château de Malevil, lieu où quelques cul-terreux survivront et tenteront de réorganiser une vie après l'explosion d'une (probable) bombe atomique. Cette adaptation du livre de Robert Merle aussi belle soit-elle ne peut pas se substituer à la lecture du roman. Quelques passages de ce dernier ont été supprimés afin de ne pas allonger la durée du film, et le regard minutieux de Robert Merle sur les comportements humains n'apparait pas toujours dans toute sa force. Pourtant, on ne boude pas le plaisir de voir rassembler dans ce paysage rural une belle ribambelle d'acteurs : Michel Serrault, Jacques Dutronc, Jean-Louis Trintignant, Jacques Villeret, Robert Dhéry, Emilie Lihou...  Malevil est un très beau film, au charme suranné qui met en relief les effets de leadership, et d'interdépendance au sein d'un groupe dans un contexte de fin du monde.



Gandahar - René Laloux (1988)
d'après le roman Les Hommes-machines contre Gandahar de Jean-Pierre Andrevon
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René Laloux a réalisé deux autres films d'animation science-fictifs antérieurs à Gandahar à savoir La Planète sauvage avec Roland Topor en 1973, et Les Maîtres du temps avec Moebius en 1981 qui traitent des thèmes similaires d'oppression, de libre arbitre, et de voyage dans le temps. On doit l'ambiance extraordinaire de Gandahar au célèbre dessinateur Caza qui est une figure importante de la littérature de science-fiction. Au même titre que Manchu ou Siudmak, Caza a réalisé de nombreuses illustrations pour les couvertures des livres de science-fiction parues dans des éditions défuntes (ou pas), en voici quelques-unes :
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Il est probable que Miyazaki (Nausicaä, Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro...) verrait dans René Laloux une âme sœur qui partage plusieurs des mêmes convictions : l'importance de la nature, la coexistence avec nos frères humains (ou non-humains), et la valeur de la pensée libre. Gandahar est un conte futuriste et la bande annonce (accessible ici) me semble le meilleur moyen de vous plonger dans l'histoire et de vous rendre compte par vous même de son atmosphère si particulière.

vendredi 02 novembre 2012

Alamut, de Vladimir Bartol (1938)

Alamut, de Vladimir Bartol

En Iran, à la fin du XIème siècle, plusieurs grands maîtres se disputent le pouvoir et se prétendent les héritiers du Prophète Mohammed.  Retranché dans Alamut, une citadelle dont-on dit imprenable, Hassan Ibn Sabbâh va mener une guerre sainte en exécutant un plan qui aura muri 20 ans dans sa tête.  Ce plan est l’édifice de sa vie et repose sur la doctrine ismaélienne dont il se sent le dépositaire.

Pour réaliser mon plan, pour faire sortir le monde de ses gonds, je n'avais besoin, comme Archimède, que d'un seul point fixe. Je ne demandais plus aucun honneur, aucune influence chez les maîtres de ce monde. Il me fallait seulement un château fortifié et les moyens de le modifier à ma guise.

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Une magnifique photo du rocher d'Alamut par Babak Tafreshi, The Starry Night of Alamut

A Alamut, chaque croyant de l’ismaélisme est devenu un soldat bien trempé et chaque soldat est en même temps le plus fervent des croyants. Parmi toutes ses mesures, Hassan considère que la plus importante est la création de l’école des « fedayin ». Une troupe d’élite qui sera prête à tous les sacrifices. On suit leur enseignement allant des mathématiques à la littérature, leur catéchisme, et leurs épreuves sportives et militaires où ils feront preuve de dépassement de soi. Mais la clef d’achoppement du plan d’Hassan se cache à l’abri des regards, un endroit où de jeunes femmes - et quelques eunuques qui prennent soin de leurs besoins - remplissent une grande partie de leur journée à un certain nombre de leçon, de joutes poétiques, et d'autres passe-temps artistiques : la vie leur est presque idyllique.

Au premier tiers du livre, on commence à comprendre petit à petit les rouages de ce plan machiavélique sans pouvoir encore toucher à l’essence, et aux buts de l’organisation. Quand la machine se met en branle, il est difficile de lâcher le roman au cours des intenses premiers combats entre les armées, ou des ruses et des manipulations successives d’Hassan. Avec une intelligence inquiétante et une détermination extraordinaire, il tire profit des facteurs prévisibles et imprévisibles qui participent à la réalisation de son plan. 

Au fil des chapitres, on se rapproche un peu plus vers les raisons profondes qui animent Hassan. Son but élevé a rapport à des vérités essentielles, mais mystérieuses qu’il cherche à résoudre avec la sagesse du philosophe, lui qui a consacré le reste de sa vie à la science et à l’exploration de la nature. Il se sacrifie à cet objectif et le moyen de parvenir à rallier les foules à sa cause ne lui pose pas un cas de conscience. Car, pour lui, la masse a toujours préféré un mensonge qui affirme quelque chose de solide à un savoir, même sublime, qui ne leur offre pas de prise ferme.

« … je partage l’humanité en deux catégories fondamentalement différentes : une poignée de gens qui savent ce qu’il en est des réalités et l’énorme majorité qui ne sait pas. »

Cette légende d’Alamut est une sorte d'allégorie politique intemporelle sur la manipulation des masses (et sur les bases des stratégies de consentement, religieuses ou non). Avec son atmosphère colorée et attrayante, avec une bonne dose d'aventure et d'intrigue romanesque, de réflexions politiques et philosophiques, Vladimir Bartol offre un roman aux accents merveilleux. Je referme ce livre en ayant pris la mesure d’une entreprise effroyable qui prend fin au terme d’une aventure palpitante.

« ... un projet gigantesque et grandiose comme le monde n’en avait jamais vu. Eprouver l’aveuglement humain jusqu’à ses limites extrêmes ! Atteindre ainsi la plus haute puissance et l’indépendance totale ! Incarner le conte ! Transformer la fable en réalité pour que l’Histoire en parle plus tard ! »

samedi 13 octobre 2012

Yucca Mountain, de John d'Agata (2012)

« What happens when an essayist starts imagining things, making things up, filling in blank spaces, or — worse yet — leaving the blanks blank? »

John d'Agata, The Next American Essay

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Les réacteurs américains sont inefficaces à 97% ce qui signifie qu'entre le moment où on place une barre de combustible dans un réacteur nucléaire et celui où on le retire, il conserve 97% de sa radioactivité. Alors il a fallu imaginer un projet d'enfouissement de ces déchets radioactifs. C'était «  Yucca Mountain ». À 140 km de Las Vegas. Projet prévoyant de construire 160 km de galeries à l'intérieur de la montagne et, en l'espace de quarante ans, de les remplir avec 77000 tonnes de déchets nucléaires, puis de sceller et de fermer la montagne jusqu'à leur décomposition.

Le livre retrace le parcours politique et scientifique du projet qui a vu ré-interpréter un problème de millions d'années dans une solution ramenée à 10.000 ans (un bel acte de foi aux générations futures), ainsi que l'histoire tragique de Lévi Presley - un garçon qui a sauté de la tour « Stratosphere » à Las Vegas - et la connexion de sa mort avec la propre expérience d'Agata répondant aux appels de personnes au bord du suicide sur une ligne d'écoute. Le récit avançant sur plusieurs niveaux à la fois se tient sur une ligne tendue entre le documentaire et la fiction, un travail de journalisme libéré de ses contraintes rigides mais qui s'attache férocement aux faits comme en rend compte les 131 notes en fin de livre.

Il est clair que si j'attire l'attention sur quelque chose qui fait sens en apparence, il est possible qu'il n'y ait là rien de vrai. Nous perdons parfois notre connaissance en cherchant l'information. Nous perdons parfois notre sagesse en cherchant la connaissance.

Il fournit des rapports de médias, des avis d'experts et des reportages à la première personne. Il donne des statistiques, des calculs et des projections (ses scénarios prospectifs sont simplement fascinants), il cite des documents de politique et se plonge dans les études scientifiques et universitaires. Également mélangés parmi des références littéraires, et artistiques comme les quelques pages où il convoque Le Cri de Edvard Munch (figure qu'on retrouve en illustration de couverture sous la forme des isoclines de cette carte factice d'une montagne), il juxtapose ces éléments connexes sans jamais freiner le récit. Tout fait sens. 130 pages plus tard, on ressort du livre scotché et admiratif en songeant à la tension dramatique insufflée au récit, et à la singulière façon de cet écrivain de réexaminer non seulement où nous sommes, mais aussi où nous avons été, et où nous allons.

Tout au long de cette lecture, on rit, souvent d'un rire jaune face à la méchante farce humaine qui œuvre autour du projet Yucca Mountain. A ce propos, voici ce que John D'Agata dit lors d'une lecture de son essai à des jeunes étudiants américains en 2010 :

« Do not be afraid to laugh at the absurdities, though by no means feel I am pressuring you to laugh »


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