fabrique_du_consommateur.jpg, mars 2023
Notes de lecture

Dans le prolongement du travail de Anthony Galluzzo présenté récemment dans son excellent livre Le Mythe de l'entrepreneur, retour rapide et un peu brut sur la lecture de son précédent ouvrage, La Fabrique du consommateur, à travers ces quelques notes de lecture livrées en l'état.


Un travail touffu, orné d'une solide biblio et très agréable à lire sur l'évolution du mouvement de croissance et de diversification de la consommation, du milieu du 19ème siècle jusqu'au début du 21ème siècle. Un spectre large d'un peu moins de 200 ans qui épouse l'avènement du marché mondial, à travers l'interconnexion planétaire selon une quantité sans cesse croissante d'objets et de modes, et ce en prenant pour point d'origine la subsistance autonome des paysans français qui vivaient en autarcie vers 1800.

La contextualisation de la problématique au début du 19ème siècle, dans la France rurale et fragmentée en parties indépendantes, est assez intéressante : une époque où les contraintes de transport (routes et moyens de locomotion essentiellement) enfermaient les habitants dans leurs villages, formant des ilots autarciques qui maîtrisaient, sous la contrainte de survie bien sûr, toute la chaîne de production. L'exemple du quotidien paysan est éloquent, de la possession d'outils actifs plutôt que d'objets passifs, du conditionnement du cochon (hier activité plurielle et familiale, aujourd'hui réduit pour beaucoup aux barquettes sous vide du supermarché).

Le chapitre portant sur la marque comme transfert de responsabilité et de standardisation montre comment elle agit sur les imaginaires et les représentations, comment elle constitue une sorte de palliatif à la dépersonnalisation des échanges, phagocytant la valeur d'usage. Dans un registre connexe, il est question de la translation de l'intérêt des boutiquiers vers les grands magasins : passage de peu d'articles chers où la négociation avait sa place à un stock d'articles peu chers, dans un flux continu au sein d'une spectacularisation de la marchandise (cf. la psychologie des foules chez Gustave Le Bon). Apparaît à ce moment la notion de cathédrale de la consommation, avec sédentarisation de la clientèle sur le lieu de vente, socialisation de la clientèle féminine, et étourdissement des clients devant l'infini de consommation qui s'offre à eux.

L'histoire de la culture matérielle bourgeoise prend le relais, avec les objets vivants (domestiques, femmes), l'économie de la valeur-signe (cf. Baudrillard et Thorstein Veblen) en plus des valeurs d'échange et d'usage en économie classique. La peur de l'homogénéisation, avec le besoin de cultiver une singularité, pousse à devenir l'entrepreneur de sa propre distinction.

Le passage du magasin au magazine, avec un modèle économique précis qui conditionne fortement le contenu éditorial. Le cinéma comme éducation à la consommation, avec implémentation d'un imaginaire et normalisation de la marchandise : les flappers (garçonnes en français), métaphore du changement social où l'identité passe par l'apparence. Sous les traits de la femme émancipée naît la consommatrice moderne. La femme et l'enfant vus comme catalyseurs puissants de consommation, de nouveaux marchés à conquérir, de nouveaux relais du discours publicitaire. La contre-culture, aussi, comme vecteur puissant de l'ordre capitaliste à même de trouver dans n'importe quel mouvement le support de sa croissance.