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Rendre inaliénable les biens communs
Le Droit contre les privatisations
Ugo Mattei

Un constat. Puis, immédiatement, une question : comment protéger la propriété collective lorsque, pour « équilibrer » leur budget, des gouvernements bradent les services publics ou dilapident les ressources naturelles ? Dans cet article, la notion de « biens communs », forgée dans le monde anglo-saxon puis remise au goût du jour en 2009 par le « prix Nobel » d'économie (son équivalent, puisqu'il n'existe pas dans cette discipline) décerné à Elinor Ostrom pour son livre Gouvernance des biens communs, semble être une solution viable pour dépasser l'antinomie entre propriété publique et propriété privée. Nécessitant un changement général de sensibilité de notre part, elle conduirait à faire du « commun » la perspective centrale, et poserait les fondations d'un renversement qui se jouerait sur le plan technico-juridique, c'est à dire créer une base législative solide pour permettre son application. La finalité : dévoiler, dénoncer et dépasser le paradoxe hérité de la tradition constitutionnelle libérale, à savoir celui d'une propriété privée davantage protégée que la propriété collective. Proudhon n'est pas bien loin...


Sur le toboggan de la crise européenne
De la rigueur à la récession
Frédéric Lordon

L'article du « professeur Lordon » figure au centre d'un dossier plus général sur les politiques d'austérité qui surclassent l'actualité européenne. Comme à son habitude, l'entrée se fait dans l'ironie et le burlesque, perçus comme l'ultime option pour expliquer cette triste situation : la multiplication des sommets sans cesse censés sauver l'Europe, à mettre en parallèle avec le nombre incalculable de fois que Laurel entarte Hardy (ou l'inverse). À la différence près qu'on ne se lasse pas de ces derniers.
Les intérêts de certains à l'oubli sont si puissants qu'il est bon de se remémorer combien les événements actuels doivent leur origine à la crise des crédits hypothécaires, expression parfaite d'un capitalisme des plus pragmatiques (à savoir, une fois les salaires comprimés à l'extrême, l'endettement des ménages comme solution de soutien à la demande, faut-il le rappeler). La propriété la plus impressionnante du néolibéralisme réside assurément dans sa capacité à nourrir ses avancées de ses proches échecs, puisque aucune leçon ne semble avoir été tirée... Ainsi, on voit progressivement pivoter le discours des politiques économiques en modérant la logique des simples tours de vis (réduction des déficits) et en lui substituant l'idée du rebond par les exportations compétitives (réduction du coût du travail, et donc des salaires). Le transfert de l'échec de l'idéologie libérale vers celui des États, honteux et coupables, est en marche – et est déjà sacrément bien avancé.
Mais le champ de ruines qui suivra l'enchaînement de défauts souverains et d'écroulements bancaires aura au moins la puissante vertu de la tabula rasa pour tout le monde, libéraux compris. On n'a jamais vu de système de domination rendre les armes de lui-même ; il faut y mettre de l'énergie, beaucoup d'énergie, que celle-ci vienne de l'onde de choc d'un effondrement systémique ou bien d'un soulèvement interne. « Si, du néolibéralisme ou des populations, l'un seulement des deux doit y passer, qu'au moins ce soit lui. »


Des amis
Roman traduit du coréen par Patrick Maurus et Yang Jung-Hee
Baek Nam-Ryong

des_amis.jpeg Enfin, la sortie d'un roman nord-coréen signé d'un écrivain vivant encore aujourd'hui en République populaire démocratique de Corée. Chose suffisamment rare pour être abordée ici sans l'avoir lu... Le bouquin, écrit en 1988 (Kim Jong-Il, mort ce week-end, n'était à l'époque que le dauphin de son père Kim Il-Sung), s'appelle Des amis, de Baek Nam-Ryong, traduit du coréen par Patrick Maurus et Yang Jung-Hee, chez Actes Sud. Il aura fallu dix ans et une certaine ténacité pour obtenir l'autorisation de traduire ce livre, œuvre littéraire avant d'être politique. L'histoire est celle d'une demande de divorce qui menace la stabilité familiale, bien sûr, mais aussi l'équilibre social. Selon l'auteur de l'article, Martine Bulard, « le roman n'a rien d'un pamphlet, mais il dessine en creux une critique de la société, même si l'auteur considère que les dysfonctionnements ne viennent pas vraiment du régime, mais d'une perversion de ses principes par des individus peu scrupuleux. »


À écouter : Là-bas si j'y suis, l'émission quasi-quotidienne de Daniel Mermet sur France Inter, consacrée au Diplo une fois par mois. Celle de décembre est accessible sur http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2323.