J'ai toujours été fasciné par le western, ses codes, ses courants, ses icônes. Aussi loin que remonte ma mémoire (je pense notamment à ces Leone qui ont marqué mon enfance, enregistrés sur de vieilles cassettes ayant déjà servi cent fois, dans une VF plus qu'approximative), la relation que j'entretiens avec le genre a toujours été hypnotique.

Mais ce dont il est question ici, ce john_wayne.jpgn'est pas du western classique tel que La Chevauchée Fantastique (1939) ou encore Le Train Sifflera Trois Fois (1952), avec sa pléthore d'acteurs et de réalisateurs mythiques (John Ford, John Wayne, Gary Cooper, etc.) et son manichéisme outrecuidant, mais plutôt de ces westerns qui ont permis un renouvellement — voire une résurrection — du genre à la fin des années 1960. On les nomme « crépusculaires », « spaghettis » ou même « anti-westerns » mais peu importe l'appellation. Ils brisent les codes précédemment établis pour établir les leurs, avec leurs personnages complexes, leurs musiques emblématiques (merci Morricone), la lenteur des duels, les gros plans caricaturaux... Je les qualifierai « westerns atypiques », même si paradoxalement, c'est parfois ceux qu'on connaît le mieux.
Concernant le contenu du billet, certains oublis sont volontaires (d'autres, fatalement, ne le sont pas). Je ferai par exemple abstraction de Sergio Leone : bien qu'il soit l'un des plus grands instigateurs de cette révolution, tout le monde connaît sa filmographie, en grande partie dédiée au western et conclue par un magistral Il Était Une Fois En Amérique (1984) qui n'en est pas un. De même, mais pour des raisons moins flatteuses, vous ne verrez pas apparaître — encore une fois, à titre d'exemple — le nom du troisième volet d'une saga de Robert Zemeckis (faut pas exagérer non plus, c'est limite hors-sujet).
Mis à part ça, la discussion est ouverte.

clint_eastwood.jpgTout d'abord, la transition. La fin des années 1960 et les années 1970 foisonnent de films qui flirtent avec le genre, les cendres des classiques sont encore chaudes. Clint Eastwood, outre le fait qu'il soit à l'origine d'une vague de fumeurs de cigares, (il n'a pas brillé qu'au soleil : Un Frisson Dans La Nuit (1971), premier film en tant que réalisateur, L'Inspecteur Harry (1971), Un Monde Parfait (1993), Mystic River (2003), et plus récemment Gran Torino (2009) pour les meilleurs), a eu une contribution plus que généreuse. On peut citer chronologiquement Pendez-Les Haut Et Court (1968), L'Homme Des Hautes Plaines (1973), Josey Wales Hors-La-Loi (1976), Pale Rider (1985) et Impitoyable (1992), où le « héros » n'incarne plus les valeurs morales traditionnelles telles que le respect et l'altruisme, mais offre une ambivalence plus riche qui rend difficile le discernement entre le bien et le mal.

bob_dylan.jpgSam Peckinpah fait aussi bonne figure dans cette rubrique (il a aussi réalisé d'autres excellents films en dehors du genre, avec par exemple Les Chiens De Paille (1971) et Croix De Fer (1977)). Même si Coups De Feu Dans La Sierra (1962) ne se démarque pas vraiment du classique, La Horde Sauvage (1969), et Pat Garret & Billy The Kid (1973) marquent une nouvelle rupture, avec un appât du gain et une violence omniprésents dans le premier (la fusillade finale est un véritable massacre) et une histoire assez tragique dans le second (génial duo James Coburn - Kris Kristofferson, sur une musique de Bob Dylan, qui joue aussi dans le film). Sam Peckinpah enterre définitivement le western classique...

Un peu plus tard, trois autres « grands » films ont apporté leur contribution en donnant au western, chacun à sa manière, une orientation inédite.

Tout d'abord, Danse Avec les Loups (1990), de Kevin Costner. Peut être un peu trop classique et primé pour s'y attarder ici, mais la beauté du propos et surtout son originalité pour l'époque font de ce film un western novateur qui offre une vision très singulière de la conquête de l'Ouest. On ne se lasse pas de voir et revoir le lieutenant Dunbar sympathiser avec les Sioux et un loup, obtenir le surnom "Dances with Wolves", et voir la machine de guerre américaine se retourner contre lui. Une ode au pacifisme.
À noter, un second western de et avec Kevin Costner : Open Range (2003). Moins connu mais autant sinon plus raffiné, malgré l'échec commercial lors de sa sortie. Des personnages complexes, un orage magnifiquement filmé, et une scène de gunfight finale à couper le souffle.

johnny_depp.jpgPuis Dead Man (1995), de Jim Jarmusch. Certainement un des plus beaux films que j'ai jamais vus, dans un noir et blanc magnifique, porté par un Johnny Depp vagabond. L’esthétique a été travaillée avec soin : comme le disait un ami, chaque image de ce film constitue une photographie magnifique. Au menu : des références au poète anglais William Blake et aux Doors, des apparitions succinctes de Steve Buscemi et Iggy Pop (qui pour l'occasion joue le rôle d'un maraud déguisé en femme...), un étrange Indien appelé « Nobody » (Personne) persuadé que Johnny Depp est vraiment ce poète anglais dont il porte le nom, et non un vulgaire comptable... Ce film nous embarque dans un voyage funèbre, et nous plonge dans une ambiance onirique inoubliable.

Et enfin, There Will Be Blood (2007), de Paul Thomas Anderson. L'histoire d'un self-made man typiquement américain, l'incarnation même du capitalisme qui se nourrit du « toujours plus », interprété par Daniel Day-Lewis au sommet de son talent. Une performance hors du commun pour cet acteur qui donne au personnage une crédibilité inouïe, mais qui se heurte à un autre manipulateur : Paul Dano, autrement plus convainquant en prophète excentrique de l'église de la « troisième révélation » qu'en adolescent mielleux dans Little Miss Sunshine (2006). Deux personnalités excessives qui vont entrer dans un conflit bestial et carnassier. Le capitalisme contre l'église, deux maux, deux rivaux qui ne peuvent subsister l'un à côté de l'autre, et dont l'opposition se règlera dans le sang — comme indiqué dans le titre — au bout d'un long et lent (presque 2h40...) affrontement.there_will_be_blood.jpg

Pour terminer, on pourrait faire un bref résumé des films récents (années 2000) qui ont tenté, avec plus ou moins de succès, un renouveau du genre.
Parmi les réussites, on peut citer L'Assassinat de Jesse James par le Lâche Robert Ford (2007), par Andrew Dominik, un tantinet trop long mais assez intéressant avec ce Brad Pitt incarnant une icône du banditisme en perte de vitesse, et utilisant malicieusement Casey Affleck (bluffant en Bob Ford, l'historique « dirty little coward ») pour immortaliser son personnage dans un acte de couardise sans pareil. Appaloosa (2008), de Ed Harris, fut également une agréable surprise, avec un duo Harris - Mortensen (qui tient un rôle mineur comparé à ceux qu'il a occupés dans A History Of Violence et Les Promesses De L'Ombre, de David Cronenberg) plein de complicité quand il s'agit de faire régner l'ordre. Et Jeremy Irons fait un très bon méchant.
Plus mitigé, The Proposition (2005) de John Hillcoat (auteur en 2009 de l'adaptation à l'écran de La Route, de Cormac McCarthy) reste regardable mais pas extraordinaire. True Grit (2010), des frères Coen, n'est pas mauvais non plus, mais reste une œuvre mineure à la lumière de leur filmographie remplie de pépites (Barton Fink (1991), Fargo (1996), The Big Lebowski (1998), The Barber, The Man Who Wasn't There (2001), etc.). 3h10 pour Yuma (2007), par James Mangold, aurait pu figurer dans le haut de la liste, Christian Bale et Russel Crowe ne se cantonnant pas à leurs rôles habituels d'acteurs qui ignorent tout du sens du mot « finesse ». Mais après une première moitié convaincante, le film sombre malheureusement dans le stéréotype et offre un final... comment dire... à pleurer. On peut aussi penser à Trois Enterrements (2005), de Tommy Lee Jones, pas sensationnel mais somme toute plutôt divertissant en road movie texan et à cheval, avec quelques originalités (comme le déroulement désordonnée de l'histoire, temporellement parlant).
Mais les ratages complets existent aussi, et Vincent Cassel nous le rappelle, en incarnant Blueberry (2004), de Jan Kounen. À l'origine, le film est plein de promesses (film inspiré de la bande dessinée de Jean Giraud, alias Mœbius), mais on se lasse — très — vite de cette profusion de feux d'artifice visuels, d'insectes grouillant et autres effets spéciaux discutables. Vraiment, rien de bon à retenir.

De nouvelles pistes sont régulièrement étudiées, encore aujourd'hui (et jusqu'en Corée du Sud avec Le Bon, La Brute Et Le Cinglé (2008), de Kim Jee-woon), et la diversité des thèmes traités est sans cesse renouvelée (comme l'homosexualité dans Le Secret De Brokeback Mountain (2005), par Ang Lee). Le western n'est peut être pas encore mort...

Mise à jour du 03/10/2011 : Blackthorn, western surprenant et envoûtant, de Mateo Gil (2011).