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"What can we make?"

In Search of Darkness est un voyage de 4h30 à la (re)découverte de la décennie des 80s, à travers le prisme de ses films d'horreur. Un documentaire qui regorge de plaisir et de pépites, un film-fleuve qui transpire l'amour pour le gore et pour les excès en tous genres. Année après année, de manière un peu scolaire mais sans que cela n'entame l'enthousiasme général, on parcourt ces dix années en compagnie d'une jolie troupe constituée d'auteurs, acteurs, réalisateurs, maquilleurs et autres bricoleurs qui racontent leur vision enchantée (et régulièrement nostalgique) de ce moment particulier de l'histoire du cinéma américain. En reliant les interviews de pontes comme John Carpenter, Larry Cohen, Joe Dante, Stuart Gordon ou Tom Holland avec celles de personnalités moins renommées mais souvent tout autant éclairantes, ce projet initialement financé sur Kickstarter prend une ampleur phénoménale. Gargantuesque. Évidemment, 270 minutes ne garantissent pas l'exhaustivité, mais à aucun moment le docu ne donne l'impression de prétendre égrainer la totalité de la production horrifique, que ce soit du côté des sentiers très balisés (du type The Thing) ou du côté des territoires en friches (avec une multitude de pépites comme Les Clowns tueurs venus d'ailleurs et autres TerrorVision). Du sérieux à l'absurde, du fantastique sec et sobre à l'horreur visqueuse et dégoulinante, avec certes un net penchant pour cette dernière, l'horizon des registres balayés est d'une effarante diversité.

Si la tonalité est souvent marquée par la nostalgie des intervenants, In Search of Darkness renvoie aussi une vision d'ensemble très intéressante de cette décennie, en termes de modèle économique et de système de pensée, durant l'époque qui a connu l'explosion du support VHS (voir par exemple le documentaire récent et très sympa Révolution VHS de Dimitri Kourtchine). Que ce soit du côté de la production ou de la consommation des films, quand bien même une partie des témoignages puisse relever du souvenir altéré voire fantasmé, il en résulte une très forte constante : le délire. Dans la composition des effets spéciaux in situ tous plus inventifs, artisanaux et dégueulasses les uns que les autres, dans la façon de mettre la main sur la pépite du vidéo club pendant que les parents étaient absents, c'est ce sentiment de plaisirs partagés qui prédomine à tous les niveaux. On voit bien comment le mode de production des films (de genre, en l'occurrence) a changé depuis. Tout n'était pas parfait, et le film aborde quelques points noirs comme le gimmick purement commercial de la 3D balbutiante et le tiroir sans fin des suites pour faire fructifier les bons filons, mais c'est bien cet enthousiasme débordant et communicatif à la Tavernier ou Thoret (bien que souvent très subjectif et trompeur en matière d'horreur) qui reste. Même si ce n'est sans doute pas aussi unilatéral que ce qu'annonce un auteur, "the great thing about genre directors in the '80s is that they were thinking -what can we make?- and not -what can we remake?-. We're in a degenerate era today where all they think about is what can we remake", cette créativité sans borne (que ce soit dans les thématiques ou dans le mauvais goût) peut difficilement être remise en cause. Même si la notion de franchise existait déjà très clairement, comme en témoignent les innombrables Halloween, Freddy, et autres Vendredi 13 — dont les suites perdurent pour certaines encore aujourd'hui.

Quelques séquences thématiques viennent agréablement rompre la monotonie de la progression linéaire année après année (qui présente tout de même une soixantaine de films), avec des sujets comme la musique, les protagonistes féminins ou issus d'une minorité, le design des posters, ou le maquillage. Et même si In Search of Darkness s'attarde un peu trop sur certaines choses (des classiques avec leurs suites interminables), l'image qu'il renvoie de cette partie des 80s, avec cette idée de revenir aux sources d'un univers et de voir des pionniers à l'œuvre en train de repousser les limites d'un genre, n'en demeure pas moins extrêmement roborative.

search_of_darkness (2).jpg, janv. 2020