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Une histoire de Jeanne d'Arc et de son amant anglais (sans headbanging)

Joan the Woman est une vraie surprise, mais pas nécessairement dans le meilleur sens du terme. Certes, une grande partie du film est consacrée à la peinture épique d'une fresque historique autour du personnage de Jeanne d'Arc, comme attendu. Mais ce qui l'est beaucoup moins, c'est le cadre dans lequel cette histoire s'inscrit : elle nous est racontée depuis une tout autre époque, contemporaine au film, puisque l'introduction et la conclusion se déroulent dans les tranchées, en pleine Première Guerre mondiale, alors qu'un soldat anglais tombe sur une épée ayant appartenu à Jeanne d'Arc. Son histoire apparaît ainsi comme un (long) flashback de près de deux heures, au centre du film, et se termine sur un sursaut de "courage" chez le soldat qui acceptera au terme de cette vision tout aussi divine une mission suicide à travers le champ de bataille. Le parallèle entre les deux "missions" aux deux époques, et l'abnégation subite dont fait preuve le soldat courant vers sa mort, constitue une drôlerie tout à fait involontaire assez savoureuse. Une bien curieuse utilisation du mythe au service de la propagande, quelque temps avant l'implication des États-Unis dans le conflit devenu mondial.

1916 était visiblement l'année de la grandiloquence (assertion basée de manière hasardeuse sur le visionnage de seulement deux longs métrages), tant certaines séquences de ce Jeanne d'Arc comportent une quantité astronomique de figurants pour dépeindre une bataille, une scène de foule ou le sacre du roi Charles VII. Cecil B. DeMille, 40 ans avant son blockbuster biblique Les Dix Commandements, se lançait déjà dans un travail de reconstitution épique, la même année que l'immense et magnifique Intolérance de D. W. Griffith. Mais DeMille se plonge dans le XVe siècle un peu comme dans une fête foraine et se laisse aller aux montagnes russes des interprétations historiques plus ou moins douteuses et fumeuses.

Loin de moi l'idée d'attaquer le film point par point sur des questions de véracité historique. Il est par contre très intéressant de noter que la relecture de l'Histoire par des apprentis annalistes sous LSD n'est pas propre au cinéma du XXIème siècle. Loin de là. L'idée de donner à Jeanne d'Arc un amant anglais et de faire subsister leur romance tout au long du film a de quoi laisser dubitatif, sans parler de leur rencontre maladroite sur la paille, dans une étable : on ne comprend absolument pas pourquoi elle s'éprend d'une telle personne ni pourquoi elle s'échine à le sauver, alors que ses compagnons anglais sont en train de piller et raser le village, comme n'importe quel épisode militaire peu romantique au cours de la Guerre de Cent Ans. La comparaison avec la Première Guerre mondiale n'en devient que plus bancale.

Mais ce qui dérange le plus, au-delà de ces libertés aussi audacieuses que ridicules et improbables, réside dans l'absence de sens donné aux agissements de Jeanne d'Arc. Mis à part quelques surimpressions permettant de partager ses visions divines, on a l'impression de suivre les élucubrations d'une gentille folle, bercée par son inconsistance. Elle a beau mener des batailles phénoménales, et formidablement bien retranscrites pour certaines, à grand renfort de centaines (si ce n'est milliers) de figurants, on peine à ressentir, d'un point de vue purement cinématographique évidemment, ce qui l'anime vraiment. Ce sentiment est en outre renforcé par la pâleur de l'interprétation de Geraldine Farrar, vraisemblablement plus cantatrice qu'actrice. Si l'on ajoute à ce tableau déjà chargé le fait qu'elle avait 34 ans à l'époque, soit le double de la personne qu'elle est censée incarner, on peut se faire une vague idée des raisons de l'échec partiel.

Certaines séquences, néanmoins, persistent. Les séquences de batailles épiques, bien sûr, mais aussi le sacre de Charles VII à Reims suite à la levée du siège d'Orléans sont de très beaux moments. La surimpression est utilisée avec parcimonie, et confère aux visions de Jeanne d'Arc une certaine fulgurance (si l'on omet la dimension partielle de ces visions, puisqu'elle ne verra pas toutes les traîtrises à venir qui la conduiront à sa perte...). Joan the Woman brille d'un éclat certain également dans sa toute dernière partie, dans les moments qui précèdent le bûcher avec les manigances de l'Église (la séquence de torture pour obtenir ses aveux est magnifiquement mise en scène, des outils aux costumes) ou dans la séquence du bûcher à proprement parler, avec des effets de couleurs particulièrement saisissants pour l'époque (des reflets jaunes et rouges pour intensifier les flammes) : autant de passages extraordinaires qui laissent penser que le film, dépouillé de sa romance farfelue (pour relativiser cet aspect-là, on peut considérer le fait qu'elle ne s'adonne pas au headbanging sur fond de Heavy Metal comme chez Bruno Dumont) et doté d'une conviction plus solide chez sa protagoniste, aurait pu constituer une pépite grandiose des premiers temps forts d'Hollywood.

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