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Déflagration anarchiste et libération sexuelle de la femme dans la France pompidolienne

Première publication : 15/01/2019

Une bien curieuse décharge électrique et anarchiste dans la grisaille de la France pompidolienne : La Fiancée du pirate est une expérience très particulière, principalement parce que Nelly Kaplan entretient un malaise permanent au sujet de la condition de Marie, le personnage interprété par Bernadette Lafont, la fille d'une sorcière ou d'une bohémienne, on ne saura jamais vraiment. Archétype de la femme-objet dans la première partie, décrite dans toute sa misère et sa soumission, elle passera du statut d'esclave à celui de dominatrice à la faveur d'une prise de conscience salutaire, à travers l'appropriation de son propre corps.

Mais avant d'en arriver là, avant d'épouser le vent libertaire qui souffle sur la destinée de Marie, il faudra en passer par la crasse des hommes fourbes, le venin des femmes jalouses, la boue des taudis miteux, et l'acrimonie omniprésente qui corrompt tous les habitants du coin. Il faut passer au-delà du côté un peu théâtral du jeu d'acteur, notamment dans la première partie où chacun joue son rôle de manière un peu trop emphatique, mais la récompense reçue par la suite est de taille.

Une fois acté le déclic de la protagoniste qui prend pleine connaissance de la puissance de son corps et de son potentiel d'émancipation, sa vengeance contre tous les notables du coin sera sans pitié. L'épicier, le garde-champêtre, le pharmacien, le maire et même l'abbé seront tous également condamnés pour leur veulerie, leur concupiscence, leur méchanceté, et surtout leur lubricité perverse démentielle. Marie devient peu à peu un personnage féministe particulièrement avant-gardiste, et parvient à sa dégager de l'état de soumission dans lequel elle avait été éduquée. Comme un gros bras d'honneur tendu en direction de toutes les formes d'aliénation, non sans humour.

La Fiancée du pirate se paie même le luxe, au-delà du pamphlet de mœurs, de critiquer la vision très consumériste de l'aisance matérielle. Si Marie redécorera son taudis au fur et à mesure de la richesse accumulée, en garnissant les étagères avec les derniers objets à la mode achetés de manière impulsive, ce ne sera que pour mieux brûler le tout avant un nouveau départ. Elle ira d'ailleurs retrouver Michel Constantin, d'une étonnante douceur dans le rôle d'un projectionniste bienveillant, lui qui était un habitué des seconds rôles de méchant maffieux.

Une telle revendication de son corps, une telle affirmation de son indépendance, illustrée par une vengeance lente et savamment calculée (séquence assez drôle à l'église où un magnétophone divulgue les confidences assez peu avouables des hommes sur fond de Barbara, "Moi je me balance" : https://www.youtube.com/watch?v=Bi5_Lb65ZjY) : l'acidité du portrait, avec une France bigote et rance, où les vices s'équilibrent avec les mensonges, s'accompagne d'une rare violence. Aucune lourdeur dans le message, simplement un regard libertaire sur une société dominée par l'homme et par l'argent, et une bêtise faite de racisme, de misogynie et d'hypocrisie d'où Marie parviendra à s'abstraire, au cœur d'une magnifique déflagration.

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Deuxième publication : 18/08/2023

Avec le temps les défauts s’étaient gommés, ne laissant apparaître comme saillant dans ma mémoire uniquement la charge féministe jubilatoire qui jaillissait dans un décor de vieille France, pas encore trop transformée par mai 68. Mais en réalité, la dimension très théâtrale du film peut s'avérer extrêmement rebutante surtout dans les premiers moments, et il faut être capable d'encaisser cela afin de le dépasser et plus tard apprécier ce qui sera développé. On voit ici l'expression d'un premier film fauché, double combo un peu délicat avec d'un côté les approximations des débuts à la réalisation pour Nelly Kaplan et de l'autre un budget somme toute assez maigre qui confère au film un côté un peu tristounet. L'interprétation de certains acteurs, les champs simples sur des décors de studio, et la photographie très terne peuvent former de sérieux obstacles à l'appréciation. Le résultat tend vers la nausée.

Malgré ses maladresses, je conserve malgré tout beaucoup de sympathie pour le résultat d'ensemble. J'adore le style de Bernadette Lafont dans ce film, sa façon de jouer, de renverser l'ordre établi par ses propres moyens (les seuls à sa disposition à vrai dire). L'ambiance générale, la pauvreté, la boue, les taudis, les bouseux, la mort violente aussi, tout cela forme un arrière-plan presque suffocant de misère.

Des choses que je n'avais pas remarquées : l'imagerie de la sorcière qui traîne tout au long de l'histoire et qui se concrétise très clairement sur la fin avec le bûcher, ou encore la petite touche art brut qui se matérialise dans la cabane de Marie avec tous les objets (inutiles) achetés petit à petit au fur et à mesure de son ascension sociale et sexuelle. Des choses maladroites, comme la tentative des notables d'imposer à Marie un tarif unique et bas, sans succès, ou encore la figure extrêmement tendre du personnage de Michel Constantin (la seule sensibilité artistique). Et la participation de Louis Malle en travailleur immigré espagnol. Le grotesque, volontaire et involontaire, rend le visionnage quand même assez difficile.

Le tableau est un peu bourrin, l'hédoniste révoltée contre l'hypocrisie et la médiocrité locale, la libertine libertaire qui propage un vent anarchiste dans le village brumeux et boueux, mais malgré toutes ses outrances pas toujours très bien exploitées, pas toujours très bien dosées, il conserve beaucoup de charme.