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Peinture et résistance

Un film américain de Frankenheimer sur les trains français à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne quasi vaincue tentant de rapatrier une large collection de tableaux de maîtres et la Résistance s'y opposant (faisant ainsi écho au récent The Monuments Men de Clooney, dans un registre certes très différent) : la configuration ne manque pas d'originalité et de charme. Et ce d'autant plus que l'art ferroviaire n'est pas en reste, comme une vague évocation du réalisme poétique du cinéma français des années 30 trente ans plus tard, avec de très nombreuses focalisations sur la ferraille, sur les boulons qu'on dévisse, sur les circuits à graisser, sur les systèmes de refroidissement, ainsi que sur la crasse et l'huile laissées sur les mains et les visages. Rajoutons au milieu de cela la trogne inimitable de Michel Simon vieillissant (malheureusement doublé en anglais... par lui-même) en cheminot réfractaire à la coopération avec l'occupant, ainsi que Jeanne Moreau dans un petit rôle, et on a là un joli tableau qui part avec un capital sympathie très favorable en ce qui me concerne.

Les mauvais choix ne sont en revanche pas absents, évidemment, et je regrette principalement la figure archétypale du colonel von Waldheim, caricature de nazi aristocrate obsédé par l'Art, auquel répond l'obsession du personnage de Burt Lancaster (toujours aussi charismatique au demeurant) qui fait tout pour empêcher ce transit d'œuvres d'art sans réellement savoir pourquoi il agit avec autant de détermination (si ce n'est à partir du moment où son meilleur pote se fait descendre, cela va de soi) — avec discours explicatif final entre les deux, si besoin était. Cette composante-là du film, très sérieuse, alourdit un peu l'ensemble, c'est un sérieux un peu trop ostentatoire. Mais il n'entrave pas beaucoup le portrait de la résistance ferroviaire au cœur du film, ceci dit.

Car on pourrait résumer Le Train à cela : un jeu du chat et de la souris entre cheminots français et soldats allemands, entre le musée du Jeu de Paume et l'Allemagne. Les cheminots enchaînent les subterfuges pour nuire au convoi, et les nazis traquent les saboteurs pour les exécuter sans ménagement. Le tableau est noir, et en ce sens le noir et blanc retenu pour la photo est parfait. Le tournage n'a pas dû être chose aisée, si l'on en juge le départ du réalisateur initial, Arthur Penn, suite à des désaccords avec Lancaster, qui demanda à Frankenheimer de reprendre le flambeau (avec qui il avait déjà en commun Sept jours en mai et Le Prisonnier d'Alcatraz). Sans doute que ce conflit n'a pas aidé à rendre plus percutante la question de la légitimation du sacrifice de vies humaines pour la sauvegarde du patrimoine.

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