sweetgrass.jpg, nov. 2020
Néo-western documentaire de la transhumance

C'est presque un western contemporain, avec quelques bergers, quelques chevaux, un troupeau de 3000 moutons et 250 kilomètres à traverser en 3 mois à travers les montagnes Beartooth du Montana. Dans la veine du documentaire anthropologique prenant beaucoup de distance à son sujet (peut-être un peu trop) et se refusant à tout commentaire en voix off, les britanniques Ilisa Barbash et Lucien Castaing-Taylor évoquent à travers Sweetgrass la vie de bergers lors d'une transhumance épique. Des zones de pâturage hivernal vers les hauts plateaux de pâturage d'été, de jour comme de nuit, on parcourt l'extrême Nord-Ouest américain à travers des vallées tout à tour rocailleuses et verdoyantes, des rivières à traverser, et des plaines enneigées bordées de forêts qui s'étendent jusqu'à l'horizon — et dans lesquelles rôdent des ours et des loups, prêts à ponctionner la dîme sur les troupeaux qu'on fait transiter sur leur territoire.

Malheureusement, il manque à cette "évocation sensorielle de la vie des derniers bergers" — c'est ainsi que les deux anthropologues définissent leur documentaire — un point de vue un peu plus tranché, un sujet un peu mieux délimité, ou bien une approche esthétique un peu plus radicale. Pourtant, tout est là : le cadre magnifique de la nature américaine à perte de vue, la rudesse d'un mode de vie amené à disparaître, et l'originalité de la démarche qui brille par l'ampleur de son geste, et ce d'autant plus lorsqu'on apprend qu'il s'agit de la toute dernière transhumance de la sorte, la ferme ayant ensuite cessé son activité. Un matériau aussi précieux aurait peut-être mérité, entre autres, d'être capté avec autre chose que cette caméra numérique.

Mais le minimalisme de cette élégie ne lui interdit pas de distiller une gamme d'émotions relativement variée : l'étonnement constant devant la taille du troupeau en mouvement, la surprise lors de la séquence de la tonte avec des gestes fermes et précis, et bien sûr ce petit parfum mélancolique qui s'échappe de ces décors impressionnants, foulés une dernière fois par une troupe bigarrée d'hommes, de moutons, de chiens et de chevaux. De manière très surprenante, Sweetgrass verse presque dans la comédie lorsque on se place aux côtés d'un cowboy particulièrement prolixe en insultes diverses et fleuries, tandis qu'il observe au loin son troupeau s'éloigner du chemin et emprunter des ravins dangereux. Forcément, c'est la faute aux chiens... On sent toutefois dans ce moment violent une certaine vulnérabilité, que l'on retrouvera dans une séquence où un berger au bord des larmes téléphone à sa mère du haut d'une montagne en se plaignant d'à peu près tout (les chiens, les chevaux, le genou), pour terminer sur une remarque sarcastique après avoir raccroché.

troupeau.jpg, nov. 2020