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"How do you keep smiling with a stiff upper lip?"

Vacances sur ordonnance est un inclassable du cinéma britannique, un de ces films qui balancent des horreurs sans que le protagoniste ne moufte vraiment et qui tissent de superbes séquences comiques sans qu'on ne voie le moindre début de sourire sur un quelconque visage. Henry Cass est un réalisateur anglais relativement inconnu, mais il est parvenu à extraire toute la sève de son acteur principal en faisant d'Alec Guinness un héros malgré lui, le type de personnage qui précipite une petite révolution sans qu'il ne s'en rende compte. Le genre à ne rien laisser transparaître sur son visage impassible, tandis qu'un docteur lui annonce qu'il est atteint d'une maladie aussi rare que mortelle, qu'il n'a que quelques semaines à vivre, et qu'il ferait mieux de profiter de ses derniers jours. Le genre à lâcher un tonitruant "How do you keep smiling with a stiff upper lip?" (en jouant sur le sens de l'expression anglaise qui caractérise tout le flegme british), l'air de rien, après avoir déclaré "When you come to think of it it's a bit thick isn't it?", l'air hagard, à la personne qui vient de lui annoncer sa mort imminente. Les amateurs du style flegmatique typiquement britannique sauront se délecter de ce festival de retenue, d'euphémismes et de litotes.

Tout part de cette annonce malheureuse. Guinness décide alors de tout plaquer, de dire adieu à son boulot et à son patron : ce dernier s'empressera de proposer une revalorisation de son salaire, allant même jusqu'à le doubler alors qu'il avait toujours refusé la moindre augmentation quand tout allait bien. Il se laisse convaincre par le tailleur du coin d'acheter de beaux costumes (deux pleines valises d'habits ayant appartenu à des célébrités), profitant de la chance du presque mort, il clôture son compte en banque et retire tout son argent (contre l'avis de son banquier qui ne comprend rien à ce qui est en train de se jouer), pour finalement s'envoler vers une station balnéaire européenne chic et finir ses derniers jours dans le confort d'un hôtel luxueux.

Or, le combo attitude désinvolte de l'homme qui se sait condamné + extrême générosité pécuniaire + vêtements d'homme d'affaire très important + valises remplies d'autocollants de tous pays déclenche dans le microcosme aussi fortuné que médisant de l'hôtel un épais mystère. Tout le monde veut savoir qui est ce monsieur Bird, chacun y va de sa supposition. C'est une énigme à résoudre, et les spéculations vont bon train. Dans cette comédie noire extrêmement détachée, Guinness est un acteur de choix pour concentrer toute la tendresse ainsi que toute la férocité de cet entourage. Soudain, un quidam issu du bas peuple se retrouve en plein milieu du zoo de la noblesse sans que personne (ou presque) ne sache quoi que ce soit.

Et bien sûr, alors que toute sa vie fut synonyme de galère, de solitude et de morosité, voilà que défilent devant lui des occasions aussi incroyables que formidables, des relations sentimentales, de la chance au jeu, des propositions professionnelles, le tout en se faisant lui-même un puissant catalyseur de bienveillance et de solidarité. L'ironie de la situation, l'homme devant mourir sous peu, sera bien entendu allègrement soulignée à toutes ces occasions, à la faveur d'un humour noir grinçant. Mais le film insiste bien, tout en finesse, que ce personnage ne fera jamais vraiment partie de ces sphères-là.

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