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Résistance au travail

Sur le plan formel, À nous la liberté partage beaucoup de points communs avec l'autre film que René Clair a réalisé également en 1931, Le Million. Ils peuvent tous se regrouper sous l'ombre du cinéma muet qui plane sur eux, à savoir un registre comique qui fait passer l'essentiel de sa charge par des gags visuels (au travers notamment de la répétition de motifs et la multiplication de quiproquos) et une transition vers le cinéma parlant pas encore tout à fait opérationnelle (le film peut s'apparenter à une succession de scènes muettes et de scènes parlantes qui s'articulent entre elles avec plus ou moins de fluidité). Mais là où Le Million concentrait tout son intérêt dans une suite burlesque de péripéties imbriquées les unes dans les autres avec le protagoniste à la poursuite d'un veston contenant un ticket gagnant changeant sans cesse de propriétaire, À nous la liberté étonne par son récit d'une amitié à tendance anarchiste.

En résumé, le message (si message il devait y avoir) est quand même une ode à la jouissance débarrassée de toute contrainte, loin du travail aliénant et loin du pouvoir corrupteur de l'argent. Le récit de l'évasion de deux détenus condamnés aux travaux forcés se fait dans le premier temps de l'introduction sous la forme d'une narration issue du cinéma muet, tout en clins d'œil et en bruitages. Le premier qui parvient à s'évader deviendra au fil des ans le grand directeur d'une usine fabriquant des horloges, quand le hasard et un arc narratif romantique (avec toutes les composantes désuètes que l'on peut imaginer, pour le meilleur comme pour le pire) placera le second évadé à l'autre bout de la hiérarchie, directement en prise avec la chaîne de production. Plusieurs choses sont frappantes à ce niveau, à commencer sur un plan mineur par le parallèle établi entre le travail forcé dans la prison (les détenus sont contraints de fabriquer des jouets) et le travail à l'usine dont le caractère répétitif et abrutissant est immédiatement dénoncé. Les décors sont très semblables, la chaîne de production à l'usine rappelle la longue table de la prison, et certains acteurs jouent des rôles dans les deux situations pour entériner le dialogue entre les deux mondes. De manière plus frappante encore, À nous la liberté peut sur ce registre critique se concevoir comme une source d'inspiration majeure pour Chaplin lorsqu'il réalisera 5 ans plus tard Les Temps modernes — les producteurs voudront d'ailleurs lui intenter un procès pour plagiat, chose que René Clair refusa et qu'il prit davantage comme un hommage et un compliment.

Il y a beaucoup de facilités dans la résolution du nœud principal, lorsque la société réalise la véritable identité du chef d'entreprise ex-prisonnier, et que ce dernier sa lance dans un grand discours libertaire au cours duquel il confie les clés de l'usine aux employés afin que ces derniers profitent de l'automatisation de la chaîne de production pour aller prendre du bon temps — un discours et une utopie qui conservent une bonne part de modernité au passage. Mais la satire du travail à la chaîne, au travers d'une esthétique presque totalitaire dans l'usine, allège grandement la lourdeur du burlesque suranné (et des aspects ayant trait à la comédie musicale) par ses frasques anarchisantes et par son final débordant de naïveté joyeuse qui refuse toutes les formes d'autorité.

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