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Une sacrée surprise, ce Blue Ruin, confirmant qu'aller voir un film sur grand écran en ne se laissant guider que par le hasard, vierge de tout commentaire, a encore tout son sens. Quelques mots en guise de recommandation concernant ce long métrage financé en partie (plus de 37000 dollars tout de même : voir le lien) sur Kickstarter, une plateforme de crowdfunding, et dont la sortie officielle est prévue en France pour juillet 2014.

Le scénario tient en une ligne : à l'annonce de la libération du meurtrier de ses parents, Dwight (le très convaincant Macon Blair) décide de se faire justice lui-même. Jeremy Saulnier ne propose ici rien de foncièrement nouveau. L'influence de Jeff Nicchols est même manifeste, que ce soit dans le sens aigu du récit ou dans la thématique éminemment proche de Shotgun Stories, le premier film d'un des meilleurs réalisateurs américains contemporains. La filiation est évidente et assumée, pour un résultat peut-être plus moderne, un peu branché mais loin d'être consensuel. S'il est ici aussi question de rixes familiales et de règlements de compte sanglants, Blue Ruin diffère dans l'expérience proposée au spectateur, immersion prenante dans un univers aux codes simples mais parfaitement maîtrisés.

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Le réalisateur, également scénariste et surtout directeur de la photographie, apporte un grand soin à la composition de chaque plan, à travers un cadrage millimétré, des mouvements de caméras mesurés et des choix de couleurs et d'éclairages sensés. L'esthétique sait cependant rester sobre, à l'opposé d'œuvres comme Only God Forgives (pour n'en citer qu'une), indépendamment des qualités que l'on peut reconnaître au dernier-né de Nicolas Winding Refn. En filigrane, une heure et demie durant, tel un fil rouge, la couleur bleue. Elle ouvre et ferme le récit, elle répond au sang de la vengeance et elle guide de manière arbitraire les plus attentifs des spectateurs. Une voiture décolorée, une lumière vacillante, un tee-shirt dépareillé... Le souci du détail plane sur l'ensemble du film, tant sur le plan visuel que scénaristique, et le respect voué à la cohérence des événements, notamment via l'élimination du superflu, sont autant d'éléments simples mais appréciables. Cette efficacité se retrouve dans l'utilisation des silences et la concision des dialogues, rares mais essentiels.

Plus important, Blue Ruin parvient à dépasser le cadre de l'essai esthétisant et aborde le thème classique du vigilante de manière originale, avec un propos intéressant sur cette vengeance innée, culturelle et machinale, un désir ardant de l'ordre du réflexe plus que de la réflexion. Dwight est plus proche du hippie marginal que de l'ancien béret vert mais fait montre d'une violence froide et appliquée. Une fureur passionnelle qui semble paradoxalement dénuée d'émotion, un déchaînement maladroit mais glaçant. Le film propose en outre une réflexion assez ironique sur le contrôle des armes, en détournant les clichés du genre : le protagoniste vengeur rate sa cible à deux mètres et finit par s'évanouir à l'hôpital après avoir essayé de se soigner lui-même comme Rambo. En mêlant le tragique et le satirique, Jeremy Saulnier parvient à faire passer son message de manière assez efficace. L'année dernière, au Festival de Cannes où était présenté le film, il déclarait, placide : « Personnellement, j'adore tirer. Mais il faut se rendre à l'évidence : les Américains ne savent utiliser correctement ni leurs fusils ni leurs revolvers. Mieux vaut donc les leur enlever, c'est plus sûr. »

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