chasseurs_de_truffes.jpg, janv. 2022
Idée du siècle : une GoPro sur un chien truffier

J'ai enfin trouvé un secret culinaro-forestier plus jalousement gardé que la localisation des coins à cèpes dans la Montagne Noire : l'emplacement des coins à truffes d'Alba dans le nord de l'Italie, dans le Piémont. Chasseurs de truffes est un documentaire à l'esthétique renversante, essentiellement composé de plans fixes, qui tente d'apprivoiser cette discipline ténébreuse qu'une poignée de vieillards pratique encore aujourd'hui.

En gardant rigoureusement une bonne distance avec les personnes qu'ils filment dans des cadres souvent millimétrés, Michael Dweck et Gregory Kershaw s'embarquent dans les forêts piémontaises secrètes, en immersion dans une chasse à la truffe, autant que dans des caves baignant dans une lumière étrange, avec une lueur presque irréelle, entre deux négociations et deux engueulades. Le documentaire s'attache à décrire plusieurs choses : ces petits vieux, tout d'abord, avec leurs caractères très souvent irascibles, la relation qu'ils entretiennent avec leurs chiens fidèles, et l'étape d'après, la commercialisation et la dégustation de ces truffes — ingrédient le plus cher au monde dit-on. Et bien sûr ce savoir ancestral menacé de se perdre, malgré l'insistance de quelques quidams.

De grands moments en perspective, car le documentaire s'amuse beaucoup à mettre en scène le contraste saisissant entre la dimension rustique qui entoure ces chasseurs de champignons et la sophistication souvent outrancière des experts à l'autre bout de la chaîne. La dégustation d'une demi-truffe à plusieurs milliers d'euros par un homme seul en costard, la séance de d'évaluation olfactive de différences truffes placées dans des verres à vin, le soin ultime apporté au stand où se vendront les précieuses ressources avec coussin rouge parfaitement épousseté... Autant de passages qui fonctionnent à merveille en opposition avec cette bande de petits vieux, entre celui qui peste contre cet art en perdition récupéré par de jeunes arrivistes, devant sa machine à écrire, cet autre qui pleure en révélant qu'un de ses chiens est mort empoisonné, ou encore celui qui fugue en pleine nuit pour aller chasser la truffe incognito.

Oui car on est clairement dans le registre de la réalité qui dépasse la fiction ici, avec de nombreux antécédents en matière de luttes territoriales : les chiens étant l'outil de travail nécessaire, ils sont les premiers à pâtir des pièges mortels tendus par les rivaux. Les passages ayant trait aux phases de négociation sont à se tordre de rire, dans une rue en ville, dans un salon spécialisé où l'on compte les grammes de terre, ou en rase campagne à la lumière des phares d'une voiture. Mention spéciale aux séquences en immersion avec une caméra placée sur la tête des chiens en pleine chasse... avec bruits de reniflement et mouvements d'ébrouement en bonus.

Très beau film sur un art en voie de disparition et un savoir au bord de l'extinction.

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