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"The slaves will sell their masters and grow wings."

En dépit d'un doublage anglais assez horrible dans la version originale, grignotant lentement mais sûrement une grande partie de la patience dont on peut faire preuve, la dernière triple image du film conserve une force incontestable et reste profondément marquante : Klaus Kinski qui s'effondre dans les flots en essayant de tirer vers la mer un bateau échoué sur une plage, un Africain atteint de poliomyélite qui erre sur le rivage comme une âme en peine, et des jeunes Africaines vêtues de leurs costumes traditionnels qui chantent, dansent, et nous inondent de leurs sourires. Impossible d'oublier ce dernier fragment de la dernière collaboration entre Herzog et Kinski. Le visionnage du documentaire Ennemis intimes se fait de plus en plus pressant...

Cobra Verde n'est pas exempt de défauts, loin de là, et certains d'entre eux sont sans doute très classiques dans l'œuvre de Herzog, à commencer par ce côté sous-écrit de certaines séquences qui semblent progresser de manière aléatoire et anormalement lente. Il y a des chances qu'on se prenne au jeu dans ces conditions, toutefois, notamment lorsque le protagoniste est incarné par un Klaus Kinski au bout du rouleau (il sortait du tournage de Paganini, apparemment éprouvant). Et on peut compter sur Herzog pour combler ces petits défauts par quelques fulgurances, par ces partis pris esthétiques et ces captations d'une incroyable puissance.

Il y a bien sûr l'histoire au sens propre, celle d'un bandit brésilien mandaté par son patron (pour l'éloigner, après qu'il ait mis enceinte les trois filles de ce dernier) pour organiser ce qui constituera l'un des derniers jalons du trafic d'esclave à la fin du 19ème siècle. Ses pérégrinations africaines sont loin d'être anodines, mais le plus marquant est sans doute la vision grossière (au sens non-péjoratif du terme, vague et sommaire) de l'Afrique que nous renvoie le film. Dans les populations, dans les coutumes, dans les paysages. Dans l'image des tyrans locaux, parfois incarnés par de vrais chefs de tribus autochtones, dans l'entraînement au combat impressionnant de centaines d'amazones qui donnèrent du fil à retordre à toute l'équipe du film, et dans ces fragments purement graphiques qui frappent comme autant d'éclairs : un sol carrelé de crânes humains, des femmes prisonnières dans un puits, un homme handicapé qui avance à quatre pattes (comme une reprise du tableau de Bacon, "Paralytic Child Walking on All Fours"), etc.

On retrouve aussi, évidemment, des thématiques transverses chères à Herzog, à commencer par la condition de l'homme emprisonné, victime de son environnement proche. Une prison dont les barreaux seraient constitués par la nature elle-même, par sa propre folie ou par la société aliénante. Toutes ces thématiques se retrouvent naturellement dans cette peinture cruelle du colonialisme, dont les origines sociales et les intérêts économiques semblent intimement mêlés, bien au-delà de la simple opposition Noirs-Blancs. Kinski n'est pas toujours parfaitement à propos dans son costume de néo-Napoléon mi-colonialiste mi-émancipateur, et les zones de flottement son nombreuses, mais on peut prendre cette caractéristique-là comme un élément du récit à part entière.

Encore et toujours cette épopée qui tourne mal, qui tourne court, qui s'éloigne vertement de la fresque épique pour s'écraser dans les affres de l'échec. Les réminiscence de Fata Morgana (épisode durant lequel Herzog fut emprisonné et mordu par des rats), son incursion précédente sur le continent africain, se font parfois sentir dans l'angoisse diffuse et étouffée, dans l'incompréhension douce mais générale. S'y ajoute ici un parfum délicatement absurde, avec cette triple image finale cristallisant la futilité (voire l’impossibilité) de la tentative d'évasion, à quelques encablures des stigmates d'une humiliation, à quelques pas des dernières traces d'une joie de vivre.

"The slaves will sell their masters and grow wings."


Une chanson dans laquelle elles chantent au sujet d'un navire négrier qui a coulé au large des côtes où Cobra Verde était le capitaine, à l'endroit où il s'effondre à la fin. Les esclaves étaient faibles pour s'être fait attraper et même s'ils appellent au secours, aucune femme ne voudra d'un homme sur le bateau alors pourquoi s'embêter à les sauver. La partie du chant qui ressemble à "golo a minute men" répété plusieurs fois correspond au moment où elles exigent des ailes pour les esclaves, pour qu'ils soient libres.

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