Même en sachant que les espoirs nourris par l'intérêt qu'on porte à un tel personnage et à une telle époque cinématographique seraient inévitablement déçus, Dalton Trumbo procure des sentiments extrêmement mitigés, presque contradictoires. Les raisons sont nombreuses, mais on ne peut en réalité s'en prendre qu'à soi-même d'avoir pu imaginer un résultat autre.
Ce film est-il à destination des cinéphiles purs et durs ? Si oui, il y a fort à parier que beaucoup seront déçus devant la pauvreté du fond, tant le film n'apporte aucun élément nouveau dans les faits (dans les grandes lignes) ou dans l'analyse, à la lumière du monde d'aujourd'hui en général ou de l'industrie cinématographique en particulier. Ceux qui connaissent la terminologie qui entoure ces événements (le principe du blacklisting au cinéma, les 10 d'Hollywood, le House Un-American Activities Committee, et plus généralement le maccarthysme) n'apprendront pas grand chose — même si cela ne veut pas dire que le film ne se suit pas tranquillement, sans forcer.
Est-il à destination des personnes n'ayant jamais entendu parler du scénariste et réalisateur Dalton Trumbo ? On doit alors se demander dans quelle mesure ceux qui ne connaissaient pas déjà son histoire par eux-même, à travers ses scénarios ou son unique film, trouveront un intérêt ici, dans la durée, une fois passée l'éventuel plaisir de la reconstitution des années 40 et 50. J'ai du mal à croire que beaucoup feront le lien entre maccarthysme passé et mystifications présentes, à la lumière de ce film. En ne s'intéressant pas fondamentalement aux raisons d'un tel rejet, en circonscrivant la peur et la haine communistes à un épisode antédiluvien de l'Histoire américaine, il n'invite pas à se poser de telles questions.
Je ne tirerai pas sur l'ambulance, il faut d'abord reconnaître que même si on a affaire à un biopic — comprendre un ersatz de documentaire — assez lisse, le sujet retenu en dit déjà beaucoup, il ne s'agit pas d'un choix anodin dans son pays de production, aux États-Unis (assertion bien moins valable, sans doute, en Europe et ailleurs). Même les cartons introductifs et conclusifs, expliquant les vagues successives d'adhésion au parti communiste américain (pendant la Grande Dépression, contre la montée du fascisme, et boostées par l'alliance avec l'URSS pour contrer l'Allemagne nazie) et explicitant les faits de fin de vie de Trumbo (photos à l'appui, of course), auraient pu être pire. On en viendrait presque à excuser la présentation du communisme que fait Trumbo à sa fille en lui expliquant que partager son sandwich jambon fromage avec son camarade qui n'a rien pour manger, c'est déjà être communiste... Il y avait même presque de bonnes idées éparses, notamment à présenter les contradictions de Trumbo (là où lui n'en voyait pas), le riche mais radical, le communiste à grande piscine, mais aussi les difficultés qu'on pouvait alors éprouver à joindre la lutte pour la liberté d'expression à celle des droits des Noirs, sous l'égide du Cinquième amendement de la constitution. Disons que pour un certain public, tout cela sera d'un académisme ronflant, et pour un autre, ce sera une fière revendication et une solide remise en question.
Non, ce qui fait pencher la balance d'un côté ou de l'autre, à titre personnel, c'est la caricature un peu trop appuyée (pour ne pas dire ratée) de certains personnages-clés. Disons que s'il est noble de vouloir égratigner l'image bien lissée par le temps de John Wayne l'ardent patriote dans son propre pays, le faire de la sorte est particulièrement navrant. Il faut le voir pour le croire. On n'oserait pas une telle image de the Duke dans un spectacle parodique de collégiens. Mais quelque part, l'anti-communisme primaire est ainsi caricaturé au même niveau que le communisme lui-même... Reste que beaucoup d'autres seconds rôles sont très mollassons, à commencer par Edward G. Robinson (le pleutre au regard fuyant), Kirk Douglas (le vaillant aux pectoraux saillants), ou encore Otto Preminger (l'Autrichien sévère mais doux). Seul John Goodman parvient à arracher quelques sourires en producteur de B-movies impulsif, rôle qu'il semble assurer avec une gouaille sûre depuis plus de 20 ans (Panic sur Florida Beach de Joe Dante date de 1993).
Il y a aussi, quelque part, l'idée un brin dérangeante qui a trotté dans ma tête tout le long du film, en connaissant le passé et le passif de Jay Roach, dont Trumbo semble être la première œuvre "sérieuse". Mais je laisse le procès d'intention de côté, on dira qu'il s'agit là d'une caractéristique beaucoup plus générale et inhérente au genre, le biopic. Le plus dérangeant, en définitive, ce n'est pas le fait que le film se contente de retranscrire sagement quelques étapes-clés de la vie de scénariste de Dalton Trumbo : c'est surtout cette focalisation sur une forme d'abnégation, de dépassement de soi, de quête tournée vers l'impossible dont nous gratifie l'industrie hollywoodienne. Sempiternellement. Même si le contexte ne se prête pas vraiment à ce genre d'interprétation, on en vient à se demander (dans un délire paranoïaque) si la machine ne cherche pas à égratigner sa propre image passée pour mieux glorifier son état présent.
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