flag_wars.jpg, juin 2020
De la guerre

La réalisatrice de CitizenFour Laura Poitras a co-réalisé ce documentaire peu affriolant sur la forme (avec cette qualité d'image ingrate du début des années 2000) mais incroyablement passionnant sur le fond : une plongée au cœur d'un processus de gentrification quelque peu singulier, sur une durée de 4 ans, dans la ville de Columbus. En parcourant les différentes parties en opposition et en opérant seulement quelques portraits, Flag Wars montre tous les interstices par lesquels germent les conflits qui divisent une communauté essentiellement structurée entre les habitants historiques, des Noirs pauvres issus de la working-class, et les nouveaux arrivants, des Blancs gays et fortunés. En prenant le temps d'observer les différentes forces à l'œuvre, de capter les motivations et les affects des uns et des autres, c'est vraiment l'absorption d'un profil sociologique par une couche sociale supérieure comme si on y était.

Bien que le portrait le plus antipathique soit celui d'une agent immobilier homosexuelle aux dents longues (et parfaitement horrible), le film ne sombre à aucun moment dans le manichéisme et adopte toujours un regard neutre, en exposant les bons et mauvais côtés de tous. Il insiste notamment sur les bonnes intentions et la bonne volonté presque idéaliste qui animent les acteurs de la gentrification. C'est aussi un portrait indirect toujours aussi hallucinant des États-Unis, avec un réseau dense de confrontations entre toutes les parties sociales en jeu : les Blancs, les Noirs, les riches, les pauvres, les racistes, les homosexuels, etc. C'est ce qui conduit à enchaîner deux séquences dans un mouvement surréaliste, avec d'un côté une sorte de mini gay pride très bon enfant et de l'autre des membres du Ku Klux Klan fielleux avec leurs revendications habituelles.

Mais la vanité et les idées discriminatoires sont largement diffuses, présentes de toutes parts. Ainsi les uns sont ouvertement racistes, les autres ouvertement homophobes, et d'autres encore ouvertement cupides et opportunistes jusqu'au morbide. Rien de plus difficile que de voir des minorités se taper les unes sur les autres. C'est très clairement le portrait de Linda Mitchel qui s'avère le plus beau, le plus poussé et le plus intéressant, même si tous les autres forment une toile de fond aussi importante. Dans sa maison décrépie, elle subit de plein fouet les conséquences de la gentrification : elle touche $500 par mois et elle est sommée par la justice locale d'entretenir sa maison à grands frais, sous la pression des nouveaux arrivants. Les uns voient des habitations en ruine qu'il faut faire fructifier, et les autres un racisme institutionnalisé qui s'adonne à un pillage en règle. Au milieu, un juge qui essaie de satisfaire tout le monde, mission impossible bien évidemment. Les différents degrés d'hostilité qui maillent le quartier, de manière plus ou moins franche, sont abyssaux.

drapeau.jpg, juin 2020