godland.jpg, mars 2023
Histoires d'un périple et d'un échec

Le dernier film de Hlynur Palmason en convoque beaucoup d'autres sur le thème de l'évangélisation de terra incognita au XIXe siècle et des ambitions prométhéennes de l'espèce humaine en terrains hostiles. Impossible de ne pas penser à Herzog et ses conquêtes de l'inutile, difficile de ne pas évoquer Jauja de Lisandro Alonso (2014) qui reprenait ce format carré et cette capacité à dépeindre une nature merveilleuse et merveilleusement hostile (avec un récit qui était beaucoup moins convainquant ceci dit, en ce qui me concerne), et il est même permis de penser à des références à Tarkovski à travers la ressemblance entre l'acteur Elliott Crosset Hove et le protagoniste de Stalker ou encore au cinéma soviétique de Kalatozov dans la tragédie de l'orgueil humain face aux contrées inhospitalières rappelant La Lettre inachevée. Il y a même une forme d'austérité religieuse qui rappelle le cinéma de Dreyer. Sur le thème plus précis du film, on est en outre très proche du canadien Robe noire (réalisé par l'australien Bruce Beresford en 1991) sur la tentative de conversion des Algonquins au christianisme au milieu du XVIIe siècle.

Voilà pour le torrent de références qui découle du visionnage. Arrive tout de suite après mon principal reproche : j'aurais aimé voir mis en scène un film plus "normal", avec un rythme moins volontairement alangui, qui peut en l'état se faire un peu poseur par endroits. Même si on sait que c'est un style que le réalisateur islandais affectionne, comme peut en témoigner, par exemple, son précédent film Un jour si blanc qui avait les mêmes qualités (esthétiques) et les mêmes défauts (narratifs) pour un récit beaucoup moins ambitieux. Le faux grain ajouté en post-traitement à l'image et le format carré ne me semblent pas totalement convaincants, même s'ils établissent une passerelle presque vertigineuse avec le cinéma muet d'il y a plus de cent ans.

Godland se divise en deux parties, une première radicalement éprouvante qui montre la découverte de cette terre inconnue par le jeune prêtre danois, très herzogienne, la meilleure et de loin à mes yeux, et une seconde centrée sur la description de la vie dans une minuscule communauté, sur fond de tensions, de domination et de vengeance(s), cette dernière n'évitant pas toujours adroitement les lourdeurs d'un scénario un peu trop écrit. C'est dans le fond avant tout l'exposition d'un échec flagrant, celui d'une mission qui avait pour but de prêcher dans un recoin du monde (notamment au travers de la construction d'une église) et d'en photographier la population. La première se soldera par une déroute plus symbolique, à travers la présence du chien de Ragnar revenu devant l'église et devant lequel le héros se souillera dans la boue, comme apeuré devant le poids d'un tel retour. La seconde s'illustre davantage par un revers technique, faute de coopération au sein de la population locale et face à un défaut de stock de composés chimiques pour pouvoir réaliser de tels clichés.

Difficile de ne pas être happé par la beauté des paysages dans cet univers nordique bercé autant par les coulées de lave incandescente que par la dureté glaciale de son climat. La nature y est grandiose, un décor de premier choix pour imposer une ambiance jouant sur deux tableaux, le grandiose et le glacial. La dimension primitive de ces espaces transparaît aussi bien au travers d'une éruption, d'un cours d'eau mortel, d'arêtes montagneuses tranchantes que de la rigueur extrême. C'est en un sens un compte-rendu d'une survie en territoire hostile que j'aurais bien aimé voir enfler pendant deux heures, plutôt que de laisser l'espace de la seconde moitié occupé par une défaillance d'autorité morale de la part du prêtre. L'enchaînement de violences en réaction aux différentes formes de mépris n'est malheureusement pas à la hauteur du reste, un peu trop excessif dans sa démonstration de la vanité de l'espèce humaine par l'entremise de l'arrogance du prêtre Lucas. La barrière culturelle évoquée par la problématique des langues (au-delà de l'impact néfaste d'un exercice despotique de la religion, ou presque), le Danois se comportant en bon colon sur ses terres, aurait sans doute gagné à être davantage mise en avant, par exemple en faisant mieux ressortir les différentes langues parlées.

Ce qui restera longtemps gravé sur la rétine : ces paysages naturels captés dans toutes leurs variations, illustrant magistralement le passage du temps. Je ne sais pas combien de temps le projet a occupé l'équipe de tournage mais cela a dû représenter une durée extrêmement longue.

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