Ce court roman commence comme une nouvelle à chute :

Je n'ai pas l'oreille absolue comme certains musiciens, ni l'ouïe sensible comme celle des chiens, mais je n'ai jamais compris pourquoi le bruit n'est pas considéré comme une arme blanche efficace. Un éclat de rire comme celui qui vient de l'étage du dessus, en rafales hystériques, aiguës, au milieu de la nuit, a aussi le pouvoir de blesser, pensai-je, au réveil. Pas comme le pistolet, le couteau ou la corde. Son effet ressemble plus à celui de certains poisons qui ne nous tuent pas mais détruisent notre santé. Ils pourrissent notre foie. Ils dérangent notre esprit.

Le cœur révélateur et Le chat noir d'Edgar Allan Poe vous reviennent peut-être comme des représentations intérieures bien ancrées. Gog Magog dont le titre réfère à des figures de la mythologie n'est pourtant pas une histoire au ressort fantastique. Le récit de ce professeur de biologie nous plonge dans le réalisme social jusqu’aux oreilles. C’est l’histoire d’une haine entre voisins dans un immeuble de São Paulo. Patrícia Melo dépeint avec une causticité évidente l'infernale supplice de son anti-héros, et par là même, la paupérisation des enseignants au Brésil.

L'amour, pour les esprits cartésiens, est toujours ridicule. Pour la science, il s'agit d'un torrent de phényléthylamines. De hauts niveaux de dopamine et de norépinéphrine. Des phéromones, pour celui qui y croit. Pour moi, l'amour est la preuve que nos molécules cytoplasmiques savent écrire des rimes. Du coup, les poètes ne me manquent plus. L'amour, c'est vrai, se substitue à la poésie.

Entre ces deux extraits, respectivement l’incipit et l’explicit du roman, se tient un récit à la première personne en deux parties. La première est celle de toutes les tensions tandis que la seconde résonne comme l’échographie du narrateur face à la vindicte populaire et le procès de son crime plus que présumé.

Cette seconde partie est particulièrement réussie, on y suit le narrateur à l’hôpital, en prison puis à son procès, il devient alors difficile de lâcher ce roman agréablement ciselé. Les descriptions acoustiques et les réflexions du narrateur se remémorant les événements passés - les remontrances de sa femme et de sa fille, l’affadissement de la vie à deux, ses crises audiogènes déclenchées par son voisin du dessus jusqu’à son déferlement de violence - ne sont jamais anodines.

Ce roman noir de Patrícia Melo dépasse donc largement la fiction d’un fait divers tapageur pour se muer en un exercice de pensée sceptique avec une originalité de point de vue et même d’écoute.


Merci Renaud