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Naissance d'une passion

Le côté traditionnel (déjà à l'époque, aussi, sans doute) de la première partie est un léger frein à l'appréciation générale. Si l'on se cantonnait à cette moitié-là du film, on pourrait rester sur le sentiment amer d'un certain manque d'ambition comique. Keaton nous a (déjà !) tellement habitué à mieux, plus inventif, plus élaboré, dans Le Mécano de la « General » et Sherlock Junior... Mais heureusement, le seul gros défaut de The Cameraman, c'est que la machine met du temps à se mettre en route. Et quand les Chinois arrivent, on retrouve le Buster Keaton qu'on attendait.

Du point de vue purement formel, il y a encore ici toute une série de trouvailles réjouissantes. La séquence en travelling vertical le long d'un escalier, qu'il descend très vite, trop vite, trop haut, trop bas, fait osciller entre ses côtés passionné et maladroit. La scène du bus, où il s'assoie sur le garde-boue d'une roue du bus après avoir été séparé de sa fiancée, montre à quel point tout objet, tout décor est un terrain de jeu potentiel pour lui. Il n'en est pas à sa première cascade, mais elle nous rappelle à quel point son corps est son moyen d'expression privilégié, bien avant son visage dont l'impassibilité est devenue sa marque de fabrique. Il y a aussi un mélange constant entre loser et héros assez savoureux, sa maladresse renforce presque toujours de manière inattendue son assurance.

Et puis, bien sûr, la réflexion sur le cinéma comme art de filmer le monde. Que ce soient les moments de poésie pure mimant les premiers pas de l'expérimentation du montage, avec d'énormes navires évoluant dans les rues de New York par surimpression (et par erreur, surtout), ainsi que les débuts du split-screen, le recul sur la technique est source de fascination. Puis vient le moment du singe devenu caméraman : à travers la blague et l'heureux dénouement, preuve est faite que n'importe qui peut désormais maîtriser les outils du cinéma. C'est aussi ce dont il est question dans la séquence à Chinatown, dans laquelle un bras cassé filme admirablement bien le règlement de compte entre gangs rivaux, mais montrant également que le caméraman influe sur la réalité, la déguise, l'embellit, la dirige. C'est une belle figure d'ambivalence : le cinéma comme réalité travestie (en favorisant des combats), mais aussi comme révélateur d'une certaine vérité (en montrant qui a véritablement sauvé la jeune femme).

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