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Parenthèse marine et musicale

Helmut Käutner est un réalisateur allemand vraiment étonnant. En deux films tournés à la fin de la Seconde Guerre mondiale (Sous les ponts et La Paloma), il fait le portrait d'une Allemagne résolument moderne et reconnaissable, mais totalement déconnectée de la réalité de l'époque. Un récit suspendu dans le temps, d'où émergent une douceur et une mélancolie incroyables, comme un écho lointain du conflit qui détruisait le pays pendant que les films étaient réalisés. L'absence de discours propagandiste ou même de morale de la part de Käutner est radicale et explique assez facilement pourquoi Goebbels usa de la censure à son encontre : ce n'était pas l'Allemagne que le régime nazi voulait voir à l'époque, et ce n'était probablement pas non plus celle que ses citoyens voyaient.

La Paloma reprend (ou plutôt annonce, étant donné la chronologie) la thématique du triangle amoureux développée dans Sous les ponts, ainsi que la présence de matelots. La musique et les musiciens sont également au centre du récit, même si la perspective est très différente ici : à travers l'histoire de ce matelot ballotté entre sentiments et solitude, c'est une tonalité très mélancolique qui envahit progressivement l'atmosphère. Deux éléments appuient tout particulièrement cela : d'une part, l'utilisation précoce (1944) de la couleur, qui donne aux environs du port une ambiance vraiment singulière et intéressante, presque vaporeuse, et d'autre part la présence incroyable de Hans Albers dans le rôle du protagoniste Hannes Kröger, avec son chagrin et ses coups de sang immédiatement tangibles.

C'est une expression du réalisme poétique encore différente, basée sur les divagations de simples matelots de passage, avant un nouveau départ pour l'Australie. L'ambiance intimiste des lieux, à l'intérieur de l'appartement et surtout dans le cabaret de Hambourg dans lequel le protagoniste chante et joue de l'accordéon, s'accorde très bien aux couleurs pastel. Ça fume, ça boit, ça chante, ça gueule, ça danse, ça bastonne... Et la conclusion arrive un peu en avance, à l'occasion d'un cauchemar figuré par un montage kaléidoscopique, dans lequel les proches de Hannes lui rappellent toutes ses angoisses jusqu'au vertige. Une bien curieuse plongée dans l'Allemagne du milieu du siècle dernier.

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