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La vie privée d'un diplomate jetée en pâture aux services secrets

On peut affirmer sans trop d'hésitation, une fois refermé ce Dossier 51, qu'il s'agit d'une expérience cinématographique unique en son genre. Même si l'ensemble ne constitue pas une œuvre totalement inédite, car adaptée d'un roman, le travail d'adaptation constitue un exercice de style immersif et passionnant, doublé d'une originalité conséquente. Comme happé par l'intrigue dès les premières minutes, plongé sans ménagement au cœur d'une enquête sur un haut fonctionnaire afin d'en exposer la vie privée pour mieux le manipuler, on suit une entreprise d'espionnage particulièrement minutieuse du début à la fin de la mission. Contraste étonnant : d'un côté, les informations au sujet de l'organisation qui commandite l'opération resteront extrêmement parcellaires, maquillées derrière des noms de code et des alias à profusion, et de l'autre, les opérations en question seront retranscrites au plus près de l'action, à travers les yeux des nombreux espions à l'œuvre via une caméra subjective. Un dispositif très rare au cinéma, qu'une série de documents, photos et autres témoignages, viennent régulièrement ponctuer. Peu à peu, les voix off qui commentent la conduite de l'opération (on peut parfois penser à La Jetée de Chris Marker) dévoilent leurs identités, pour terminer sur la préparation de l'acte final à visages découverts — mais toujours en caméra subjective.

Le procédé peut rebuter, évidemment, dans la lourdeur des mécanismes narratifs développés ici, et les premières minutes seront déterminantes dans l'adhésion au schéma global. Une fois passé un temps d'adaptation introductif où l'on se familiarise avec l'environnement de travail sans cerner tous les tenants et aboutissants, on finit par mener l'enquête de l'intérieur, en adoptant le point de vue de l'horrible entreprise en charge de collecter des informations sur Dominique Auphal, surnommé "51".

Certaines révélations, notamment concernant la sexualité du personnage éponyme, ne font plus aujourd'hui l'effet qu'elles faisaient, sans doute, à la fin des années 70. Le secret s'évente de lui-même un peu avant le climax théorique de l'œuvre. La séquence presque finale d'exploitation de cette faille, à grand renfort de psychologie freudienne orthodoxe parfaitement catégorique, peut faire sourire, en 2018. Mais la violence de l'opération est intacte. Le Dossier 51, de par sa mise en scène si intense et si minutieuse, reste tout à fait prenant et produit tout de même des effets surprenants, comparables à ceux de Conversation secrète ou Blow Out, dans leurs registres bien distincts.

Aussi glaçant que prenant, on se retrouve presque malgré soi embarqué dans une entreprise de démolition méticuleuse qui suscite autant d'émotion que d'effroi. Le ton neutre, sur le thème du pseudo-documentaire, renforce cette dimension-là, et souligne indirectement la cruauté d'une telle machination. Aucune prise de distance n'est permise : on est maintenu au plus près du déroulement des opérations d'espionnage, sans recul possible. Avec quelques notes d'humour disséminées çà et là, principalement liées à la mise en concurrence de plusieurs services d'espionnage, le dossier ainsi constitué, que le spectateur consulte en regardant le film, en quelque sorte, forme un ensemble extrêmement hétéroclite. Au sein de l'entreprise d'exposition de l'intimité de "51", il n'est pas rare de voir à travers les yeux du projectionniste qui change une bobine, ou à travers ceux d'un espion à l'œuvre, en plein crochetage qu'il trouvera gratifiant. Tous ces éléments annexes, presque chaleureux, ne font paradoxalement que renforcer la dimension austère de l'ensemble. Une note originale supplémentaire, sur une partition décidément très singulière.

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