plombier.jpg, sept. 2020
"It's what you can't see that counts in plumbing."

Entre deux films d'envergure (La Dernière Vague en 1977 et Gallipoli en 1981) qui peuvent se voir comme des jalons de la filmographie si singulière de Peter Weir, le réalisateur australien a ainsi fait un petit détour par la série B télévisée avec Le Plombier, non pas un obscur téléfilm érotique mais un très étonnant home invasion qui voit l'appartement d'un couple d'universitaires investi par un personnage de plus en plus envahissant. Loin des ambiances de fin du monde au fond de l'outback aborigène australien, ce thriller très modeste prend pour décor un high rise, une tour résidentielle, pour y introduire un surprenant mélange de social et d'angoisse avec un certain niveau de subtilité — à l'échelle de sa catégorie.

Le choix des deux acteurs principaux, très peu connus, fait partie des très bons choix du film : la très neutre Judy Morris dans le rôle d'une universitaire censément brillante, qui conduit des recherches en ethnologie liée à la Nouvelle-Guinée, et l'incroyable Ivar Kants, avec sa dégaine incomparable, en supposé plombier débarquant à l'improviste pour réaliser des travaux dans la salle de bains. La scène où il sort sa guitare et son harmonica sur les toilettes ("I'm not really a plumber, you know... I'm actually a folk singer") est une petite pépite. On pourrait presque penser à une comédie dans les premiers moments, entre cet appartement rempli de masques africains et de posters exotiques de kamasutra, ces enregistrements de percussions issus de tribus visitées en toile de fond sonore, et ce plombier hirsute qui défonce lentement mais sûrement les murs et la tuyauterie qui semblait pourtant parfaitement opérationnelle. Weir trouve un créneau intéressant, dans le registre de l'angoisse aux contours très flous, en jouant avec les codes du thriller et sans s'interdire quelques accès de surréalisme : le plombier sera introduit comme le méchant d'un slasher (et fera régulièrement des blagues de très mauvais goût sur son passé : prison, viol, etc.), et la salle de bains évoluera vers une architecture bordélique de tuyaux positionnés un peu dans tous les sens.

Le jeu se poursuivra jusque dans la tonalité psychologique que Le Plombier revêt, avec des sabots qu'on aurait aimé moins gros, lorsqu'il s'embarque dans une sorte de farce sociale avec d'un côté l'ouvrier intrusif, le prolo indésirable, et de l'autre la classe privilégiée qui jouit d'un haut niveau d'éducation. La confrontation entre les deux mondes, voire la pénétration de l'un par l'autre, ne se fera pas sans accroc — la conclusion expéditive, un peu bâclée, enfoncera très clairement le clou. Dans sa gestion de l'ambiguïté, Weir se perd quelque peu en chemin, en cherchant à maintenir trop longtemps l'incertitude quant aux intentions de l'étranger (dont on ne saura jamais rien, agréablement), avec quelques écarts un peu artificiels pour le rendre "menaçant mais pas trop". Par contre, dans la peinture de la vulnérabilité physique de l'universitaire intellectuellement supérieure, il parvient à tisser un joli bout de cauchemar.

D'un côté les complexes de classe, avec un ouvrier moralement ambigu qui a conscience de ses limitations et de sa position sociale, mais pas du tout aussi méchant que ce qu'on peut initialement supposer, et de l'autre la supériorité intellectuelle, sympathique de prime abord, qui s'accompagne de condescendance et de préjugés — assez ironiquement mis en parallèle avec le sujet de ses études, avec la même dualité projetée sur la chercheuse et la tribu qu'elle observe. Comme le reflet d'une mauvaise conscience australienne, pour replacer cette série B dans la filmographie plutôt cohérente de Peter Weir.

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