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La femme des sables

Le Vent appartient à la période américaine du réalisateur suédois Victor Sjöström, sous l'impulsion de Lillian Gish qui s'était depuis quelques années déjà en 1928 éloignée des productions de D. W. Griffith. Le Vent s'inscrit en outre dans les derniers temps flamboyants du cinéma muet, à l'époque où la technique avait atteint son apogée et où le parlant n'était pas encore devenu la norme. Le Vent aura enfin permis de réaliser un croisement de nombreux registres et thématiques, maniant le mélodrame sentimental autant que le western en territoires rigoureux, revisitant le drame d'une femme qui affronte les éléments 8 ans après À travers l'orage, avec cette fois-ci le vent revêtant de multiples significations à travers autant de symboles — à la tête desquelles trône la figure du cheval dans le ciel, la crinière malmenée par la tempête et ses bourrasques.

Une jeune femme (interprétée par la presque quarantenaire Gish sans anicroche) traverse les États-Unis pour rejoindre la famille d'un cousin dans l'Arizona. En guise d'accueil à la descente du train, d'intenses bourrasques de vent se dévoilent comme le signe annonciateur, presque prémonitoire, de ce qui suivra. Le caractère inhospitalier de cette région se manifestera de fait sous plusieurs formes, des conditions météorologiques extrêmes régnant sur ces terres arides à la femme jalouse et acariâtre de son cousin. Mais si les extérieurs s'avèrent particulièrement peu accueillants, il en sera de même lorsque la protagoniste se retrouvera plus ou moins seule dans une maison isolée de tout et exposée à tous les vents. Oublions la qualité de l'accompagnement musical et de la pellicule pas encore restaurée : à l'oppression du vent, omniprésent, s'ajoute celle du sable qui pénètre dans l'habitation par tous les interstices possibles, rendant chaque coup de balais aussi vain et dérisoire que le précédent.

Victor Sjöström a su tirer un immense profit de ces éléments pour figurer précisément l'état d'oppression qui assaille Gish, perdue dans ces territoires à l'extrême rudesse. On est à l'opposé de la nature bienveillante et pleine de ressources qui sous-tendait Les Proscrits, dans les montagnes islandaises (ou lapones, c'est selon). La puissance cinématographique du vent, comme une présence insaisissable invitant à la folie, est largement exploitée ici, jusqu'au climax final — l'héroïne aurait dû être punie pour son crime, en se perdant dans les sables, mais les producteurs en ont décidé autrement, et l'image de la femme unie à son amant face à la porte donnant sur les étendues sablonneuses n'est pas tout à fait désagréable. Un début de questionnement moral qui peut évoquer un autre de ses films, La Lettre écarlate, réalisé 2 ans avant avec la même Lilian Gish. À l'image du cheval se cabrant dans le ciel lorsque le vent souffle, le dernier segment adopte une dimension plurivoque, laissant plusieurs interprétations possibles au vent qui enterre (ou déterre) les corps. Cette poésie de l'implacable, sur fond de vents tourbillonnants qu'on entendrait presque, est d'une grande éloquence.

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