Très beau film de Jean Grémillon qui complète une filmographie animée d'un sens social aigu, avec dans Le Ciel est à vous une variation proto-féministe de l'ode à l'émancipation sous l'Occupation. Je n'en reviens pas de cette allégorie de Français plutôt modestes qui nourrissent des rêves dans le ciel et qui s'acharnent autant, après avoir été expropriés, à les accomplir coûte que coûte. C'est très impressionnant, en 1944, de voir Madeleine Renaud s'affirmer face à Charles Vanel sans véritable confrontation, simplement comme une figure de femme forte à une époque où le régime vichyste les maintenait à la cuisine, grossièrement. L'héroïsme est une valeur sans doute compatible avec le pétainisme en 1944, mais quand même, ce vent féministe est une qualité notable.
J'aime beaucoup également comment est mise en scène la passion (pour les airs, en l'occurrence, mais c'est presque secondaire si cela n'avait pas une telle signification), cette flamme qui vacille, qui est mise à rude épreuve mais qui jamais ne s'éteint. La passion qui conduit l'homme à délaisser la famille, le travail, alors que tout roulait convenablement, rendant la femme furieuse avant qu'elle ne soit à son tour contaminée. Portrait de couple aussi, à ce titre, à travers une passion commune, qui les pousse à prendre des dispositions extrêmes (la vente du piano de leur fille, c'est-à-dire le support de sa passion), mais aussi à travers la description soignée de leur quotidien, des contraintes matérielles et des activités diverses, jusqu'à leur isolement progressif du reste de la communauté.
Le dernier grand temps fort du film est en outre très réussi, avec d'un côté la femme lancée seule dans sa longue course (inspirée de l'exploit d’Andrée Dupeyron, épouse d’un garagiste qui battit en 1937 le record féminin de vol en ligne droite) et de l'autre l'homme dans l'attente qui pense avoir tout perdu (avec des coups de téléphone d'abord hargneux, menaçants, et qui se transforment en annonce d'un triomphe). L'aviation pourrait presque paraître un thème subsidiaire, en appui de la peinture d'une obstination tenace. Ou comment une lubie présentée comme immature et irraisonnable se transforme peu à peu en une source d'ivresse dont on tire une certaine hauteur.
4 réactions
1 De Chouchou - 23/12/2022, 16:50
Toujours une belle sélection cinématographique, typiquement les productions qui me siéent et dont je suis friand.
Ce fut une grosse année cinéma, j'ai vu, à ce jour, 537 films.
J'en profite, surtout, pour te souhaiter de bien belles fêtes.
Salut Renaud!
(Digression: Tu en as pensé quoi de la livrée annuelle des KGLL?)
2 De Renaud - 25/12/2022, 17:20
Salut Étienne !
Merci encore une fois pour ton passage par-ici et pour ton retour. Je vois qu'en termes de contenu et même de boulimie de films, on est vraiment très proches hahaha, mon compteur affiche presque le même nombre !
J'espère que tout se passe bien de ton côté en cette fin d'année.
Très drôle que tu poses la question au sujet des King Lizard, je me suis fait une grosse session ces dernières semaines / ces derniers mois : ils sont toujours aussi fous, toujours aussi surprenants dans des registres où on ne les attend pas forcément (surtout le tout dernier "Changes", que je n'ai pas vachement aimé mais qui à le mérite de tenter autre chose, encore une fois). J'ai pas trop accroché à "Ice, Death, Planets, Lungs, Mushrooms and Lava", un peu trop Prog à mon goût je pense, par contre j'ai assez accroché à "Omnium Gatherum" — surtout le premier long morceau. Et toi ?
3 De Chouchou - 26/12/2022, 00:39
Changes reste un bel essai comme ils aiment tenter. J'ai par contre été relativement enthousiasmé par IDPLM&L (ma propension et mon tropisme remontant à mon adolescence).
Je regarde régulièrement tes écoutes sur LFM.
Quelques petits conseils d'albums qui ont récemment retenu mon attention: Nathan Roche, du Villejuif underground, Karate, Don Bolo, Equatorien foutraque, Nick Wheeldon, Cola ou The Lounge Society (Mais j'ai écouté de Jazz en cette année 22).
A plus Renaud!
4 De Renaud - 27/12/2022, 16:04
Oh, tous ces conseils, c'est super. Merci merci, je note tout ça dans un coin et j'y viendrai dans les prochaines semaines / mois (il me faut du temps haha). Je ne passe plus aussi souvent du côté de Last.fm mais je furète aussi de temps en temps du côté de tes écoutes... Globalement cette année, mes plus belles découvertes ont été sur Bantu Continua Uhuru Consciousness, des albums de Thiéfaine que j'ai pas mal aimé redécouvrir, des standards de Soul comme Bill Withers, Tarantella en matière de Rock gothique, et peut-être le dernier album de Goat.
Au plaisir de rediscuter de tout ça !