Les dernières heures d'une maison de geisha

On est déjà un peu familier avec Gion, le quartier historique des geishas de Kyoto, notamment au travers des films de Mizoguchi qui y sont consacrés. Mais c'est une tout autre histoire dans laquelle nous implique Tamizo Ishida avec Les Fleurs tombées, une tout autre approche qui avance avec délicatesse ses partis pris forts, une vingtaine d'années avant les classiques japonais des années 50. L'intégralité du film se déroule à l'intérieur de la maison de geisha, le casting est entièrement féminin, et l'action se déroule sur deux jours de juillet 1864 dans un contexte politique et historique particulier — un contexte de guerre civile entre forces impériales et soldats du shogunat, qui aboutira à la restauration de Meiji, c'est-à-dire le renversement du shogunat (Tokugawa) signant la fin de l'époque d'Edo, et au recouvrement des pouvoirs de l'empereur avec le début de l'ère Meiji.

Quelques moments dans la vie d'un établissement, dans ses probables dernières heures, tandis que des conflits grondent à l'extérieur et tout particulièrement dans la toile de fond sonore. Un huis clos se focalisant exclusivement sur le sort des femmes qui y sont coincées, en mêlant histoires du quotidien et histoire nationale en train de s'écrire à leur porte. Les Fleurs tombées est à ce titre un film radicalement intimiste, principalement animé par ses dialogues, et qui explore les personnalités des protagonistes à travers leurs querelles, leurs angoisses, et surtout leurs projections sur le monde extérieur — les projets qui n'aboutiront pas, les hésitations existentielles qui ne seront jamais résolues (l'une des geishas est la fille de la patronne et aurait souhaité continuer sa vie ailleurs), les rêves qui ne se concrétiseront jamais.

Les hommes sont donc volontairement absents à l'image, offrant une sorte de contre-histoire, mais omniprésents dans les discussions, les clients d'abord, mais aussi les amants, les proches, les soldats... Chacune des femmes porte en elle une angoisse qui y est associée, dans cette ville en train de s'embraser, et chacune incarne dans le plus grand des dépouillements une facette du piège qui s'est refermé sur l'ensemble de la sororité.