martin.jpg, janv. 2021
"People are satisfied. They know so much, they think they know all. That makes it easy for all the devils."

Dans la filmographie de Romero, il n'y a pas que des zombies, très clairement. La proposition la plus originale qui me vient instinctivement à l'esprit est Knightriders, véritable bizarrerie de 1981 qui faisait le deuil de la décennie tout juste écoulée avec Ed Harris et Tom Savini en néo-chevaliers de la Table ronde. Sans atteindre ce degré d'originalité et sans prétendre à des jalons du zombie comme Night of the Living Dead (1968) ou Dawn of the Dead (1978), Martin s'aventure sur les terres du film de vampire avec un bagage pour le moins surprenant.

Comme souvent, on apprend énormément après visionnage en écoutant Thoret disserter sur le sujet avec sa passion communicative : https://www.youtube.com/watch?v=tAZPb4F0bLI

Martin n'est pas un film aimable, au sens où on ne l'apprécie pas directement et facilement, c'est le moins qu'on puisse dire. Avec son montage régulièrement bordélique et sa lecture des lieux parfois incompréhensible, avec des accès de baroque déstabilisant et avec son interprète principal très étrange, il y a de quoi se sentir paumé très vite. Pourtant, le montage et la mise en scène de quelques séquences suffisent à intriguer puissamment, comme l'introduction qui nous plonge dans le wagon d'un train pour un assassinat assez saugrenu ou encore la scène où Martin tombe sur l'amant d'une femme (sur laquelle il comptait jeter son dévolu), conduisant à une belle loufoquerie.

Car Martin, 17 ans, est persuadé d’être un vampire âgé de 84 ans, et nourrit une obsession pour le sang de ses victimes. Le sel du film tourne autour de cette ambivalence : est-il vraiment un descendant de Nosferatu, ou bien a-t-on affaire à un dangereux psychopathe ? Pour alimenter le délire, le film est ponctué de visions en noir et blanc (qui évoquent le souvenir des films de vampire gothiques des années 1930, avec des foules lancées à sa poursuite dans les Carpates par exemple) qui peuvent être interprétées de nombreuses façons, entre flashback et projection mentale. Dès la première séquence, on voit une vision fantasmée de la réalité par Martin, produisant une juxtaposition étrange avec ce qui se passe réellement.

Romero oppose — et conditionne, dans une certaine mesure — les agissements de Martin à la culture rigoriste du cousin Tada Cuda qui voit en lui un très sérieux suppôt de Satan à exorciser (cf. la fin et les effets spéciaux gore de Tom Savini). Martin s'en amusera à de nombreuses reprises, en mangeant de l'ail, en frottant la croix sur sa joue et même en se déguisant en vampire à l'aide d'une cape et de longues dents en plastique. "There isn't any magic!", dira-t-il avec insistance. Il n'y a que Martin pour s'imaginer en grand séducteur de ses victimes qui l'inviteraient dans leurs lits, dans la tradition du vampire, en décalage total avec la réalité de son quotidien.

C'est en un certain sens une déconstruction des archétypes du genre, au creux d'un imaginaire autant déprimant que délirant, à la fois doux et violent. D'un côté une sorte de conte initiatique centré sur un jeune garçon obsessionnel qui cherche sa place, de l'autre un conte horrifique sur un monstre sanguinaire qui se fait des films en s'inventant une sorte de monde parallèle. Entre garçon timide ou vampire psychopathe, le film n'aura de cesse d'osciller et Romero semble s'amuser à brouiller les cartes à travers divers modes narratifs et différents niveaux de réalisme. L'histoire d'un marginal presque toxicomane, impuissant, errant dans les faubourgs désolés de Pittsburgh — ville dans laquelle Romero a vécu —, comme une variation sur le thème de la solitude et de l'incommunicabilité, dans lesquels germe un mal singulier. Des propres mots de Romero, "il n'y a plus de magie : le rêve américain se délabre de la manière dont les corps se décomposent".

amplas.png, janv. 2021