meurtre_d-un_bookmaker_chinois.jpg, avr. 2020
Go Go Tale

Si on reconnaît très vite le style de Cassavetes, dans les mouvements de caméra ou dans la fameuse non-action pseudo-documentaire des acteurs en grande partie en improvisation, il y a de quoi rester surpris devant le niveau d'intelligibilité de cette histoire. Je dis ça sans mauvaise arrière pensée, car d'autres films comme Un enfant attend ou Gloria adoptaient le même niveau de lecture sans être du tout aussi efficaces, et d'autres comme Opening Night, Faces, et compagnie étaient bien plus diffus et obscurs dans leur sens instantané sans pour autant être inaudibles sur le long terme. La chose qui apparaît comme une évidence, quoi qu'il en soit, c'est la présence et la prestance de Ben Gazzara, vraiment remarquable dans le portrait qu'il offre de ce patron d’une boîte de strip-tease criblé de dettes.

L'entrée dans l'univers n'est pas des plus aisées. L'étirement de ces scènes où rien ne semble se passer, le travail de déchiffrage quasiment constant auquel il faut s'adonner... Autant d'obstacles pour qui s'attend à une narration traditionnelle — mais après tout, on est chez Cassavetes, on est censé être prévenu a priori. On pénètre dans une sorte de microcosme envoûtant, en baignant constamment dans une forme d'expectative agréable, à la faveur d'une ambiance nocturne très 70s. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'on a là une captation documentaire des lieux, mais il se dégage une identité très forte des personnages et de leurs interactions. Et soudain, le film s'embarque dans la veine du film noir revisité, contre toute attente, toujours dans ce style visuel hésitant en apparence, à la fois rempli de détails mais dépouillé sous certains autres aspects plus classiques. Ben Gazzara parvient à retranscrire un mal-être difficilement descriptible, tiraillé entre son tempérament de papa poule, ses ambitions, et son spleen.

Si on peut instinctivement penser au film de Ferrara Go Go Tales (sorti en 2008 : au-delà de cet anachronisme de parcours de visionnage, il y a fort à parier que Ferrara se soit inspiré de Cassavetes pour écrire l'histoire autour du personnage de Willem Dafoe), pour la connexité des thèmes, l'atmosphère occupe ici une place beaucoup plus importante, bien plus mise en avant, comme emprisonnée dans une fausse continuité (l'action se déroule sur 3 ou 4 jours) de la nuit. Un écrin très beau, captivant, pour enfermer la fuite à demi suicidaire de son protagoniste, embarqué dans une impasse qu'il est le seul à ne pas voir.

ben.jpg, avr. 2020