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Montagnes russes dans les montagnes suisses

Parcourir la filmographie de Dario Argento s'avère beaucoup plus intéressant que prévu, pour le meilleur comme pour le pire, tant l'expérience s'apparente à des montagnes russes en termes de sobriété (parfois) et de jusqu'au-boutisme (souvent), tant sur la forme que dans les thématiques explorées. Phenomena, c'est un peu l'autre bout sobre de son œuvre, avec Le Chat à neuf queues ou L'Oiseau au plumage de cristal, qui enserre une partie beaucoup plus folle et excessive (Suspiria, Inferno, Ténèbres) avec tous son potentiel de sidération mais aussi de maladresse. Cette histoire de jeune fille somnambule dotée d'un pouvoir de communication avec les insectes (rien que ça) reprend pas mal d'ingrédients constitutifs du cinéma d'Argento des années 80, mais avec une sauce légèrement différente et un sens de la mesure plus prononcé. Mais on peut affirmer, sans prendre trop de risques, que la suite de sa carrière contient un joli lot de pépites nullissimes : reste à identifier le point de bascule, au tournant du siècle.

On retrouve dans Phenomena, dans une certaine mesure, des éléments graphiques propres à Inferno ou Ténèbres, avec ces atmosphères furieuses à base d'éclairages colorés sans retenue. Cette configuration peut très bien fonctionner dans l'ostentation, et Suspiria en est sans doute le meilleur exemple, mais elle est utilisée ici de manière remarquablement sobre — la plupart du temps. Les séquences en extérieur jouent beaucoup sur le charme bucolique et le cadre magnifique des montagnes suisses, tandis qu'à l'intérieur de la maison, dans la portion finale, ce n'est qu'horreur et dégoût. Cette fosse aux cadavres a de quoi durablement marquer les esprits... L'horreur ultime, qu'un bain de minuit viendra laver, justement, au terme d'une séquence sous-marine aux couleurs forcées mais pas poussives. Comme dans un rêve, comme la conclusion d'un conte.

Mais la sobriété (qui même relative n'est pas une nécessité, encore une fois, et surtout pas chez Argento) n'est pas omniprésente pour autant. Le scénario est très souvent adepte des passages ridicules, à différents degrés. La relation de Jennifer Connelly avec les insectes, par exemple, est amenée de manière très étrange, à tel point qu'on ne sait pas vraiment si on doit prendre ça au sérieux ou en rire. Même chose pour l'histoire de la mouche sarcophage transformée en chien policier... Mais le pire est clairement atteint lorsque l'identité de l'assassin est dévoilée, de manière assez originale au demeurant, sans effet de manche. Dans cette dernière demi-heure, le film s'engouffre dans une spirale de grotesque sans fin. C'est tout bonnement incroyable.

C'est une manie chez Argento de se tirer plusieurs balles dans le pied et de gâcher un potentiel évident. La surenchère finale laisse un goût très amer alors que l'univers (visuel, notamment) qu'il était parvenu a composer était particulièrement envoûtant. La prise de risque n'est toutefois pas totalement inutile : Jennifer Connelly en ange vêtu de blanc au milieu de cette fange crasseuse sur fond d'Iron Maiden et Motörhead, ça ne s'oublie pas.

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