plus-bas-dans-la-vallee-ron-rash-2022.jpg, juil. 2023

Ron Rash a écrit un prolongement à son roman Serena (2011) sous la forme d’une novella intitulée Plus bas dans la vallée.

Serena... Vous ne connaissez pas Serena ?!

Laissez-moi vous présenter cette femme qui met le monde à ses pieds. Issue d'une famille d'exploitants de bois et de scieries du Colorado, elle arrive en 1929 dans les Smoky Mountains en Caroline du Nord sous le bras de son époux George Pemberton. Ce couple mégalomane embauche les paysans de la région pour abattre des pans entiers de forêt. Montant un cheval blanc en fauconnier, Serena veille d'une manière vorace à l'avancée du travail de ses ouvriers. La faune et la flore disparaissent bientôt sous le travail forcené d'une main d’œuvre qui afflue de tout horizon durant cette époque de Grande Dépression...

Dans Plus bas dans la vallée, on retrouve les protagonistes laissés après une ellipse de plusieurs mois. Sur tous les aspects, la continuité est évidente, l'épopée reprend, la tragédie se remet en branle, elle est dévastatrice. Souvent j’ai pensé à La Peste de Camus ou à Naufrages d’Akira Yoshimura, d'abord pour les réactions d'une collectivité et sa violence presque primitive émanant de l'exploitation de la nature et des hommes, mais surtout pour leur narration cherchant à décrire la réalité telle qu'elle est, sans idéalisation, ni illusion. Les dialogues entre les bûcherons offrent une fenêtre imparable sur leur quotidien infernal avec une langue rurale de derrière les fagots.

Ron Rash fait partie de ces écrivains qui vous semblent sonder d'une intelligence supérieure la condition humaine avec force et poésie. Le frémissement de la conopée à chaque arbre qui tombe parvient même à jeter un tressaillement dans les pages jusqu'à la croupe montagneuse, l'épine dorsale du lecteur happé. Serena prépare toujours un coup d’avance, soumettant les bons, les brutes et les truands en leur imposant sa volonté ou en les éliminant quand la corruption est vaine. Souvent serviles et résignés, ces locaux qui ont arrêté de labourer, moissonner, faucher, et façonner leur lopin de terre pour renforcer les rangs de cette exploitation forestière dévastatrice, donnent une cruelle résonance à nos servitudes et nos actuelles responsabilités dans l'effondrement du vivant. La disparition des animaux est admirablement décrite dans des passages lyriques qui entrecoupent les chapitres de la novella comme une sinistre mélopée.  A lire absolument.

Changements de lieux, de temps et de personnages pour les six autres courtes nouvelles du recueil qui partagent en commun une écriture d'orfèvre.