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Les Black Keys : Dan (guitare et chant) et Pat (batterie).

Découverts sur le tard, à l'aube de leur septième et (pour l'instant) dernier album El Camino, les Black Keys occupent une place de choix au panthéon du Rock contemporain. L'énergie dégagée par le duo Dan Auerbach / Patrick Carney et leur sens du rythme sans pitié pour nos pieds sont tels qu'il est difficile d'admettre, aujourd'hui, qu'on ait pu passer toutes ces années sans les avoir vraiment écoutés. Une raison à cela : la qualité du dernier album en date, sorti fin 2011, qui surclasse tous les autres.

Mais tout d'abord, con-tex-tu-a-li-sons. On aurait tôt fait de comparer ce groupe aux Kills (premier album) ou aux White Stripes (période 1999-2003), un autre duo guitare-chant + batterie revenu aux sources du Rock, notamment dans leur premier album éponyme The White Stripes aux accents garage et punk minimaliste. Mais une comparaison plus avisée — et moins pop rock, moins médiatique — serait déjà de les ranger aux côtés des Gories (voir la chronique dédiée aux Gories), le groupe de Garage Rock mené par Mick Collins qui excellait dans la maîtrise du rythme et dans la profusion de riffs acérés dès la fin des années 1980. On remarquera que cette formation, elle aussi à effectif réduit, ne comptait que trois membres. Notons enfin l'absence de basse pour les enregistrements studio de ces quatre groupes (1).


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Premier et dernier albums.

Entre 2002 et 2011, les Black Keys ont enfanté 7 albums, oscillant entre le Heavy Blues des débuts (The Big Come Up), le Blues Rock de l'entre-deux (Rubber Factory et Attack & Release par exemple) et le Rock'n'roll parfois sauvage des deux derniers (Brothers et surtout, donc, l'excellent El Camino). Partis du label indépendant Alive Records, spécialisé en musique underground et fondé par le Français Patrick Boissel, ce n'est qu'en 2003 qu'ils rencontreront le succès mondial avec l'album Thickfreakness, paru sur le label de blues Fat Possum Records. The Black Keys fait partie de ces groupes qui ont su bâtir, pierre après pierre, album après album, un édifice solide dont les derniers éléments viennent consacrer leur talent. Il y a d'un côté Dan Auerbach, cet enfant anachronique amoureux du blues le plus brut, aussi enflammé que décharné, le cerveau du groupe. De l'autre, Pat Carney, autodidacte des fûts et chef d'orchestre à l'origine de ce rythme endiablé. Tous deux ont enrichi leur palette sonore pour El Camino, tout en revenant à un Rock'n'roll plus essentiel, sobre et lumineux, comme millésimé, tranchant de manière radicale avec leur album précédent, Brother, trop produit à leur goût et trop difficile à reproduire sur scène, en petit comité.

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Les Black Keys, à leurs débuts.black_keys_2.jpg

À côté de ça, on peut trouver quelques reprises bien senties, comme She Said, She Said des Beatles, sur The Big Come Up, ou Have Love Will Travel sur l'album Thickfreakness, titre écrit en 1959 par Richard Berry (pas l'acteur français hein, il n'avait que 9 ans) et dont l'interprétation la plus connue et la plus réussie reste celle des Sonics, en 1965.

Les Black Keys sont par ailleurs les rois du clip humoristique, avec pour principe une idée géniale et un budget minimal. Que ce soit la dispute amoureuse de Tighten Up (lien vidéo, 27 millions de vues sur Youtube), la performance dansée de Lonely Boy (lien vidéo, 20 millions), le sérieux des extraits de concert de Gold On The Ceiling (lien vidéo, 10 millions), les filles en bikini de Next Girl (lien vidéo, 9 millions), ou encore la fausse bande-annonce de Howlin' for you (lien vidéo, 7 millions), ils savent faire mouche à chaque coup. À noter un second clip pour le morceau Gold On The Ceiling, quasi inconnu, et plutôt... étrange : c'est ici. Pour le plaisir des oreilles, voici une version live de Little Black Submarines, extrait du dernier album El Camino. Une attaque acoustique, tout en douceur, suivie à mi-parcours d'une explosion électrique parfaitement maîtrisée.

Oh, can it be
The voices calling me
They get lost and out of time
I should've seen it glow
But everybody knows
That a broken heart is blind
That a broken heart is blind

En enregistrant El Camino, justement, Dan et Pat écoutaient en boucle les Clash et les Cramps (lire le billet sur les Cramps) : du très bon Rock'n'roll et ses variantes. Et autant dire que ça s'entend clairement, leur musique respirant autant la jouissance de l'instant que le respect stimulant du passé. D'ailleurs, après avoir décortiqué leurs albums préférés, ils étaient un jour arrivés à cette conclusion : le disque parfait doit contenir onze chansons et durer entre trente-sept et trente-neuf minutes, soit le format et la durée exacts d'El Camino, entre autres. « Tout disque de blues ou de rock'n'roll postérieur à 1972 me donne la nausée », affirmait récemment Dan Auerbach. Autant dire qu'ils avaient intérêt à assurer... Voilà qui est fait.

(1) Conscient du conflit d'intérêt dans lequel je nage, je m'abstiendrai de commenter l'absence de basse. Disons simplement que ces petits malins s'en sortent bien sans... en studio. En concert, ils sont accompagnés de Gus Seyffert (basse et voie) et de John Wood (claviers, guitare, chœurs, percussion). (retour)