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"That’s fine stuff, but it’ll rot"

James Whale, un an après avoir posé le jalon du premier Frankenstein (si l'on oublie les obscurs courts-métrages muets), réalisait un thriller horrifique particulièrement surprenant dans le cocktail de registres explorés. Les parfaits innocents pris au piège d'une tempête dans un coin paumé du pays de Galles qui se retrouvent contraints de quémander une petite place près de la cheminée dans un manoir isolé tenu par des hôtes menaçants introduisent d'emblée, pour l'œil moderne, le cadre d'un film d'horreur classique. Pourtant, The Old Dark House (aussi connu sous les dénominations "Une Soirée étrange" et "La Maison de la mort") se révèlera bien plus diversifié et insaisissable que ce qu'on aurait pu croire, en flirtant avec la comédie noire et le huis clos théâtral tout en ayant un pied dans le cinéma Pré-Code — on est en 1932 et on ne compte plus les nuisettes et autres invitations à la légèreté de mœurs.

On peut également compter sur une troupe solide, réunion impressionnante d'acteurs et actrices de renom pour l'époque : Melvyn Douglas, Charles Laughton, Gloria Stuart, et bien sûr l'incontournable Boris Karloff (peu présent en termes d'apparition à l'écran mais d'une présence mémorable) dans le rôle du majordome muet, défiguré et de plus en plus inquiétant. C'est un peu la matrice de ce sous-genre du film d'horreur qui voit des personnages débarquer chez une famille en apparence à peu près normale mais qui dévoilera de nombreuses névroses et autres perversions.

Les moyens ont beau être limités et l'espace réduit à deux ou trois pièces et un escalier, il y a suffisamment de place pour laisser enfler l'hospitalité forcée de Madame Femm et de son frère, jusqu'à ce qu'elle se transforme en une atmosphère pesante, voire même carrément barjot. La présence du vieux pyromane complètement déglingué est remarquable et les remarques prophétiques répétées de la matrone du type "that’s fine stuff, but it’ll rot" alimentent une ambiance manifestement sinistre. La nuit orageuse dans cette maison lugubre laisse le champ libre aux classiques expérimentations expressionnistes en matière d'éclairs et d'ombres inquiétantes, le tout saupoudré d'un humour noir et de pique satiriques ("Oh I had forgotten my sister's strange tribal habits. The beef will seem less tough when she has invoked a blessing upon it.") en contraste total — il y a même Melvyn Douglas en train de chanter Singin' in the Rain 20 ans avant le film de Stanley Donen... Perdu quelque part entre le gothique américain, l'expressionnisme allemand et le fantastique hallucinatoire à la Epstein, et malgré ses limitations scénaristiques, The Old Dark House reste une bien belle curiosité à l'avant-garde du cinéma horrifique.

famille.png, août 2021karloff.png, août 2021 devanture.png, août 2021