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"Horrors of war can only be exposed at close range."

La biographie partielle du photographe de guerre James Nachtwey proposée dans War Photographer pose des questions très intéressantes, dépassant largement le cadre de la seule photographie par temps de guerre. Quelle que soit la nature du conflit, quelle que soit l'origine de la misère, la problématique éthique émerge de manière aussi rapide que naturelle. La photo de Raymond Depardon prise par Gilles Caron (lire le billet), pendant la guerre civile au Biafra, exprimait parfaitement cette contradiction (apparente) entre impératif de témoignage et déontologie du regard. Comment font ces gens pour gérer les puissantes décharges d'émotions qui jalonnent leurs parcours, comment plonger au plus près de l'horreur sans endosser le rôle du charognard, comment concilier la nécessité de la documentation et le respect de l'intimité souvent exposée à nu dans ces situations ? Comme le pense Nachtwey, “tragic situations are not necessarily devoid of beauty.Christian Frei donne ici quelques éléments de réponse.

Si l'incongruité instinctive qui se dégage de ces scènes de guérilla ne me choque plus totalement, grâce à (ou à cause de) l'habitude de l'œil, celles où l'on voit un photographe occidental au milieu d'un chaos lointain, pointant son objectif en direction des victimes locales, me dérangent beaucoup plus. Certains dispositifs de mise en scène sont également difficiles à accepter. Deux tout particulièrement : d'une part, la présence de cette éternelle musique larmoyante, comme si le contenu des images ne se suffisait pas à lui seul pour transmettre la dureté et la douleur des situations, et d'autre part, la mini-caméra (à une époque où la GoPro n'existait pas) fixée sur l'appareil de Nachtwey qui nous fait suivre "en immersion" son quotidien sur le terrain de manière un peu trop intrusive. Ce dernier point entre en contradiction presque totale avec ce qui se dégage de son travail photographique. "If war is an attempt to negate humanity, then photography can be perceived as the opposite of war."

Mais pour le reste, le docu vise juste et fait le portrait d'un photographe discret et réservé, en détaillant avec pertinence ses motivations. Reporter pour l'agence Magnum pendant près de 15 ans, il a été de toutes les guerres, de tous les conflits de la fin du XXe siècle : Afghanistan, Bosnie-Herzégovine, Tchétchénie, Rwanda, Kosovo, Salvador, Irlande du Nord, Kurdistan, Somalie, Afrique du Sud, mais aussi de nombreux reportages aux confins du globe, par exemple en Indonésie au plus près des travailleurs des mines de souffre ou des exclus vivant entre deux chemins de fer. Ses tourments, sur le paradoxe de faire de l'art à partir de la détresse, sur l'exploitation de la misère des uns pour la prise de conscience des autres, sont exprimés avec une intelligibilité tout à fait honorable.

“The worst thing is to feel that as a photographer I am benefiting from someone else’s tragedy. This idea haunts me. It is something I have to reckon with every day because I know that if I ever allow genuine compassion to be overtaken by personal ambition I will have sold my soul. The stakes are simply too high for me to believe otherwise.”

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