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De l'orgie à la destruction

Regarder Zabriskie Point longtemps (50 ans) après l'époque de sa sortie, marquée à la fois par l'aspiration à diverses émancipations et par le Nouvel Hollywood, permet d'en savourer tout le sel baroque. C'est un pur produit de son temps selon ces deux axes, et pourtant, il reste difficile à appréhender : comme scindé en deux hémisphères, partagé entre la critique sociale évidente et la chronique amoureuse délurée, entre des épisodes réalistes sous forme de captation de débats et des envolées surréalistes complètement débridées, et plus généralement entre la simplicité apparente du message et la multiplicité des effets produits.

Antonioni en vadrouille aux États-Unis, c'est un peu comme Verhoeven ou Forman (avec pour origines respectives l'Italie, les Pays-Bas et la Tchécoslovaquie) : leur expression artistique s'attache à la déconstruction méthodique d'une partie de la société américaine, avec plus ou moins d'ironie, dans les mouvements plus ou moins contestataires de leurs époques respectives. On peut aussi beaucoup penser à l'uchronie décrite dans Punishment Park par Peter Watkins, principalement lié au cadre désertique d'une grande partie du film. On peut même voir dans Zabriskie Point la volonté de reprendre, pour les détourner, toute une série d'éléments grammaticaux propres au cinéma américain : les références sont extrêmement nombreuses.

La dynamique du récit est sans doute ce qui contraste le plus avec la simplicité du propos, tant les séquences changent spontanément de ton ou de rythme, du réalisme immersif à l'utopie et aux fantasmes mis en scène. On passe du concret de l'introduction, en gros plans sur les visages d'étudiants qui débattent, à l'abstraction totale au milieu de la Death Valley, où un rapport sexuel prend une dimension totalement démesurée, une orgie presque psychédélique. Le passage entre les deux semble concentré dans le vol d'avion réalisé par Mark (Mark Frechette), porteur d'un vent de liberté incroyable. Le pouvoir de l'imagination et du fantasme atteindra son apogée à la fin, lors de la dernière séquence particulièrement marquante dans laquelle Daria (Daria Halprin) fait exploser une luxueuse villa dans son esprit, avant de quitter les lieux sur fond de coucher de soleil incandescent.

Cette scène concentre d'ailleurs encore une fois cette sensation d'extrêmes intimement liés, avec la simplicité presque scolaire de la critique de la société de consommation, à travers la télévision et autres mobiliers qui explosent gaiement, et la dimension totalement hallucinatoire du support du message, à savoir un fantasme meurtrier qu'une musique envoûtante des Pink Floyd vient enluminer : lien youtube pour se rafraîchir la mémoire visuelle et auditive. La caricature de critique sociétale est un peu gênante vue d'aujourd'hui, mais la puissance de la poésie encapsulée dans ce passage reste à mes yeux (et oreilles) intacte.

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