mercredi 22 mars 2023

Le Mythe de l'entrepreneur, de Anthony Galluzzo (2023)

mythe_de_l-entrepreneur.jpg, mars 2023
Redonner sa part au hasard

Construction originale d’un essai qui semble d'abord chercher à définir les termes d'un sujet, explicites en apparence (tout le monde a déjà entendu parler de la notion d'entrepreneur, même si la distinction avec celle de patron n'est pas si claire a priori et nécessite des précisions) mais en apparence seulement. Les deux premiers chapitres s'attachent donc à exploiter une étude de cas avec l'histoire de Steve Jobs, un régal de décorticage de deux aspects du mythe, le côté créateur (le génie visionnaire sortant du néant, dans une conception schumpétérienne) avec en l'occurrence l'image assimilée par tout le monde des deux gamins, avec Steve Wozniak, dans leur garage et le côté héroïque du capitaine allant contre les idées reçues et contre les obstacles jetés sur son chemin pour illuminer les masses.

J'ai toujours été fasciné par ces talk-shows américains montrant ce genre de personnages sur une estrade qui annonce une "révolution" (dans une version parodique qu'on croirait pompée sur un sketch des Guignols), à quel point ils pouvaient avoir une influence immense sur des gens à travers le monde. C'est un peu la version tech de la messe, et le bouquin s'intéresse beaucoup à la contribution d'Apple à la réécriture de l'histoire, comme si Jobs avait inventé from scratch l'ordinateur personnel — avec une invisibilisation totale de tout ce qui permet la création et l'industrialisation de ce genre d'objets, à commencer par les développements précédents, nombreux, et la contribution de l'État, qui a largement participé à la subvention. Je n'avais pas ou peu conscience du récit autour du personnage (l'enfance, le génie, la chute, la renaissance, la mort), et Anthony Galluzzo s'est farci une quantité de biographies vomitives assez hallucinante pour en faire un tel compte-rendu, chapeau. L'aperçu donné des poncifs journalistiques est délicieux.

Ce que j'ai le plus apprécié je pense, c'est la suite : le travail sur la violence d'une telle industrie (avec l'exemple de Foxconn notamment, archétype parfait de la fausse innocence du capitalisme néo-libéral qui délocalise toutes les horreurs et qui nie toute connaissance du sort réservé aux travailleurs à l'autre bout du monde), l'histoire récente de la construction du mythe à deux grandes époques (en remontant à la fin du XIXe siècle avec les figures de grands industriels comme John D. Rockefeller ou Andrew Carnegie, avec notamment la grève et la fusillade marquantes de Homestead, et la différence entre entrepreneur supérieur et vil capitaliste), et la légitimation d'un ordre social (avec en particulier l'opposition entre Jobs et quelqu'un comme Bill Gates, le premier ne s'étant jamais préoccupé de travailler son image de philanthrope).

De Thomas Edison à Elon Musk, la vision d'ensemble donne quand même le vertige sur plus d'un siècle, à préciser comment tout cela est rendu possible et diffusé à travers le monde, d’autant que le bouquin ne laisse guère de place à l’optimisme (tout gourou est voué à être remplacé, peu importe les démonstrations concernant ses escroqueries type Elizabeth Holmes, et on se moquait déjà à l’époque de Carnegie par exemple). Tout le monde se fout complètement qu'on en vienne à tendre des filets autour des immeubles d'une usine chinoise pour limiter les suicides d'ouvriers fabriquant des composants à la source de 90% du matériel informatique mondial. Le sang des travailleurs se dilue dans l'eau des océans traversés par les porte-conteneurs, et on n'aura jamais de documentaire sur l'intérieur de ces entreprises où tout est effroyablement contrôlé. Le niveau de cynisme qui règne est inimaginable, allant chez certains de ces héros à affirmer que ce sont les plus pauvres les plus chanceux car ils auront vraiment le goût de la réussite conquise sur des conditions difficiles (des discours aussi passionnants que ceux de Reagan). Je n’avais pas du tout conscience de l’étendue de la puissance d’un tel mythe et Le Mythe de l'entrepreneur aura donc eu aussi cette vertu-là.

mardi 21 mars 2023

Godland, de Hlynur Pálmason (2022)

godland.jpg, mars 2023

Histoires d'un périple et d'un échec Le dernier film de Hlynur Palmason en convoque beaucoup d'autres sur le thème de l'évangélisation de terra incognita au XIXe siècle et des ambitions prométhéennes de l'espèce humaine en terrains hostiles. Impossible de ne pas penser à Herzog et ses conquêtes de  […]

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mardi 14 mars 2023

Take Shelter, de Jeff Nichols (2011)

take_shelter.jpg, mars 2023

L'Amérique hantée par sa ruine Revoir Take Shelter 10 ans après, quel plaisir... Constater que les déceptions "récentes" chez Jeff Nichols n'étaient pas ou pas uniquement dues à une carapace cinématographique en perpétuel épaississement, raviver les souvenirs d'émois anciens devant la  […]

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lundi 13 mars 2023

La Bête de guerre, de Kevin Reynolds (1988)

bete_de_guerre.jpg, mars 2023

"What if I kill your brother and you came for Badal, revenge? And I ask for Nanawateh? — Then I would be obligated to feed, clothe and protect you. — That's incredibly civilized." La (première) guerre d'Afghanistan vue par une caméra américaine au travers de l'équipage d'un char  […]

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vendredi 10 mars 2023

Monrovia, Indiana, de Frederick Wiseman (2018)

monrovia_indiana.jpg, mars 2023

Ode à la petite ville Petit saut dans le temps au sein de mon parcours de la filmographie de Frederick Wiseman, délaissant momentanément les années 70 pour venir observer la partie la plus contemporaine de son travail. La méthode est inchangée : des centaines d'heures de rushes collectées pendant  […]

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jeudi 09 mars 2023

American Movie, de Chris Smith (1999)

american_movie.jpg, mars 2023

"You guys gotta look menacing! Can you be more menacing?" American Movie : un film sur des gens qui essaie de faire un film dans le but de financer un autre film. On est en plein cinéma méta qui se met en scène, en passant par les phases de pré-production et de post-production, de la  […]

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mardi 07 mars 2023

Avec la permission de Gandhi, par Abir Mukherjee (2022)

Une série policière me sort de la léthargie, il faut dire que le plaisir de lecture est grand. Le contexte historique pour l'Inde dans les années 1920 est un choix assurément passionnant pour ces intrigues policières, cette époque où le Raj britannique se délite. Le troisième roman - avec la  […]

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lundi 06 mars 2023

Le Faux Coupable, de Alfred Hitchcock (1956)

faux_coupable.jpg, mars 2023

"An innocent man has nothing to fear, remember that." Hitchcock très inhabituel, même si ma frénésie de découvertes hitchcockiennes commence à remonter à un bon moment. Le premier truc inhabituel, c'est l'introduction assurée par le réalisateur himself, nous assurant que ce qui va suivre  […]

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mardi 28 février 2023

Mariama, de Boubacar Traoré (1990)

mariama.jpg, févr. 2023

Boubacar Traoré est sans doute l'un des derniers représentants de cette musique mandingue qu'on pourrait qualifier de blues africain, dans la lignée des personnalités maliennes sans doute plus connues comme Ali Farka Touré. Dès son premier album sorti sur le tard en 1990 (il est né en 1942),  […]

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lundi 27 février 2023

L'Affaire Cicéron, de Joseph L. Mankiewicz (1952)

affaire_ciceron.jpg, janv. 2023

"Maybe that's why I like my work. Counter espionage is the highest form of gossip." On reconnaît très vite le style de Mankiewicz, plus que dans la mise en scène de L'Affaire Cicéron à proprement parler, au caractère raffiné du scénario et des dialogues (souvent composés par lui-même ou a  […]

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