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Pot-pourri balkanique

L'univers cinématographique de Kusturica a toujours été un joyeux bordel, toutes périodes et toutes nationalités confondues, mais Le Temps des Gitans laisse s'exprimer avec une vigueur assez incroyable le fracas des émotions contradictoires et des références tourbillonnantes. Voilà un film qui nous parle de trafic d'enfants dans le cadre de l'extrême pauvreté d'une population Rom, tout en s'amusant de manière récurrente avec l'image bizarre d'un dindon dans un délire qui pourrait rappeler les lubies animales de Herzog. En matière d'associations baroques et cocasses de thèmes divers, on atteint des sommets.

Les films de Kusturica ne sont jamais vraiment gais au point de transpirer d'un bonheur unilatéral, mais Le Temps des Gitans est particulièrement frappant dans son goût pour le sordide, le morbide et le désespoir. On tente presque systématiquement de nous faire absorber cela à grands coups de chaos entraînant avec lui une danse hystérique, mais l'âpreté du fond demeure. Un bordel (du moins aux yeux d'un européen de l'Ouest) qui semble d'ailleurs constitutif d'une grande partie du cinéma slave, mêlant burlesque et mélodrame dans une tambouille très particulière, à la fois sèche dans sa violence et généreuse dans ses effets. Cette dimension de pot-pourri fourre-tout peut éventuellement finir par écœurer, mais cette expression d'une exubérance particulière reste intelligible et assimilable, à mes yeux.

J'ai été surpris de voir autant de références explicites à des auteurs comme Coppola ou Tarkovski, avec d'un côté cette séquence sur l'eau à la lumière des torches (rappelant l'expérience au Vietnam du capitaine Willard dans Apocalypse Now ou celle d'Andreï Roublev), et de l'autre une série d'allusions directes comme la scène de lévitation (Le Miroir) ou le pouvoir de télékinésie (Stalker), entre autres. Jean Vigo est aussi cité dans la petite ritournelle qui sort d'une peluche. Surprenant.

On peut aussi relever une composante importante liée au réalisme magique sud-américain (encore frais dans ma tête, cf. Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez), avec de nombreuses manifestations fantastiques comme cette maison suspendue. Tout cela s'ajoute au décorum classique du cinéaste et son obsession pour la famille, les liens du sang et des origines. Il y a ce petit je ne sais quoi qui empêche le film de sombrer dans le dépressif absolu, sans doute la naïveté de nombreux personnages qui sont des rêveurs idéalistes, mais on n'en est jamais bien loin.

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