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Le mirage des petits boulots suisses

L'émigration italienne n'est pas un sujet cinématographique particulièrement répandu et le visionnage de Pain et chocolat est à ce titre une expérience vraiment étrange, prenant pour cadre le déracinement d'un travailleur italien en Suisse. L'occasion pour moi d'apprendre que le goûter éponyme constitue un petit emblème national, tout un symbole qui irrigue le choc culturel présenté en introduction avec Nino l'immigré contrastant quelque peu avec la rectitude de l'arrière-plan, un parc parfaitement entretenu où des familles modèles viennent se détendre. Le début d'une longue série de clichés qui pourrait laisser penser que Franco Brusati va s'adonner à une satire pur jus dans la veine de la comédie italienne traditionnelle... mais pas vraiment.

Des clichés il y en aura beaucoup, mais Pain et chocolat évite soigneusement la case de la satire sociale au ton léger en effectuant des allers-retours constants entre la comédie et le drame — même si le ton restera très clairement du côté de l'humour. On pourrait résumer l'histoire du film à la découverte d'un pays censé être riche, hospitalier et débordant d'emplois vacants par un doux rêveur venu là faire fortune et préparer le terrain pour sa famille. Mais la réalité s'avèrera sensiblement différente, tant la concurrence entre immigrés de toutes nationalités est rude quand bien même il s'agirait d'un travail difficile et mal payé. La concurrence est rude pour devenir serveur... Pire : on ne peut pas pisser tranquillement dans la rue sans être dénoncé à la police, photo à l'appui, par des passants. Ni satire ni pamphlet, le film adopte plutôt le point de vue de Nino Manfredi et fait passer par toutes les étapes possibles de l'étonnement : moqueur, lassé, révolté, désabusé, puis découragé. Il rencontrera de nombreux émigrés issus d'autres horizons, notamment une femme grecque ayant fui la dictature des colonels avec son fils, mais aussi un groupe de clandestins réfugiés dans un poulailler désaffecté contraints d'y tuer des poulets jusqu'à la folie (un moment complètement barjot d'une étonnante intensité) et un autre groupe d'immigrés italiens réunis dans un foyer où un numéro de travestis aura des conséquences incongrues et insoupçonnées. Sa rencontre avec les jeunes suisses au bord de l'eau, focalisée sur la blondeur parfaite de leur chevelure et déclenchant une surprenante folie capillaire, est un sommet de bizarrerie hallucinatoire.

Mais on ne sait jamais vraiment sur quel pied danser, et sous son vernis comique, le tableau de la condition de l'émigré distille une amertume difficile à anticiper.

nino.jpg, nov. 2019