vendredi 12 avril 2024

Notre corps, de Claire Simon (2023)

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Écrins du corps féminin, nuée de cas particuliers

L'horizon des régions hospitalières explorées par Claire Simon dans Notre corps est très vaste, et les 2h50 du documentaire sont presque insuffisantes — au sens où l'on serait prêt à en contempler facilement le double. Les domaines médicaux sont variés et ont pour point commun la rencontre entre le corps féminin et le corps médical : un spectre extrêmement large tutoie l'exhaustivité en partant des premiers rendez-vous gynécologiques à l'adolescence pour boucler de l'autre côté avec les soins palliatifs, et parcourant de manière ordonnée mais pas encyclopédique la grossesse et l'accouchement au département obstétrique, l'unité spécialisée en procréation médicalement assistée, le parcours de transition de genre, le service oncologie avec ses réunion multidisciplinaires, et bien d'autres particularités qui sont tombées sur le chemin de la caméra de Simon lors de son passage à l'hôpital Tenon à Paris en 2021. La thématique est en un sens voisine de ce que les documentaristes Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel exploraient dans De humani corporis fabrica (comprendre : quelques passages obstétriques et chirurgicaux hypnotisants mais un peu hardos, à réserver à un public averti), avec notamment un passage consacré à la chirurgie fonctionnant à l'aide de bras robotisé (sur ce sujet précis, le court-métrage Da Vinci de Yuri Ancarani restera la référence). Mais l'approche est totalement différente ici puisqu'on accompagnera les différentes personnes sur le temps long, en prenant tout le temps nécessaire à comprendre les problématiques personnelles, les historiques de soin, et souvent une très grosse partie des éléments contextuels qui entourent la visite à l'hôpital de ces femmes, avec une contribution personnelle de la réalisatrice tout à fait impromptue. Attention, c'est à la fois magnifique, choquant, bouleversant, parfois très dur à encaisser, invariablement passionnant, tragique, et surtout terriblement émouvant.

En fait il suffit d'une scène pour convaincre, une des premières : calmement, au cours d'une consultation gynécologique, une jeune adolescente explique sa situation de grossesse non-désirée. La séquence est longue, sans coupure, elle fait passer par différentes émotions à mesure que la médecin pose des questions pour faire parler la fille et prendre connaissance de l'ampleur de la situation. C'est doux sur la forme tout en étant dur sur le fond, l'aperçu donné du contexte et des conditions est saisissant... Moment parfait, entrée en matière éloquente qui donne en réalité le ton des presque trois heures à suivre et qui ne faiblira pas un instant pour nous laisser abasourdi, de l'autre côté du docu, au terme d'un long échange entre une radiologue et une patiente âgée qui semble être arrivée au terme d'un long et éprouvant parcours de traitements chimiothérapiques. Ce n'est pas la séquence la plus originale du film mais malgré tout, si on n'a pas le cœur ébranlé par ce qu'on a pu capter de ce moment, on n'est probablement pas humain.

Claire Simon traverse les différents départements et construit de scène en scène un document d'une puissance incroyable, alternant entre l'intimité de certaines consultations et la stupéfaction de certains actes chirurgicaux. Notre corps déborde de patience, de soin, de respect, il brasse une diversité de cas qui n'a d'égal que leurs points de singularité, il aborde autant de séquences merveilleuses que de moments éprouvants, et il laisse la place à des événements indépendants du film lui-même — une manifestation pour dénoncer les violences sexuelles perpétrées par un gynécologue de l'hôpital, la révélation d'un cas de cancer du sein étendu chez la réalisatrice elle-même qui annihile complètement la distance au sujet en la projetant dans son propre matériau. On parle d'avortement, d'endométriose, de transition de genre, de maternité, de PMA, de cancer. On accouche, on écoute, on soigne, on discute. On réalise de nombreux actes techniques : on résèque des lésions liées à de l'endométriose au milieu du côlon, on ponctionne des ovocytes dans les follicules ovariens, on identifie les spermatozoïdes vigoureux et on réalise une fécondation in vitro... On peut difficilement faire plus impressionnant et fascinant en ce qui me concerne. Certaines questions posées lors d'entretiens médicaux sont le point de départ de bouleversements existentiels, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire. Les réflexions qui s'imposent dans le registre de la transidentité à l'heure de la ménopause, y compris les réflexions au niveau biologique et physiologique sur le ratio des taux d'œstrogène et de testostérone, relève de thématiques nouvelles incroyables. Des moments surréalistes surgissent lorsque les patientes ne parlent pas français (les échanges en anglais ou en espagnol atteignent un registre presque burlesque, par traducteur informatique — approximatif — interposé, en contraste total avec la gravité de la situation et des informations partagées), d'autres deviennent intensément poignants dès lors que des pans entiers d'expérience sexuelle malmenée sur des années se révèlent, mêlant douleur, libido, et sentiment amoureux. Des vies intimes qui défilent, entre témoignages hétéroclites et pratiques médicales coordonnées, en leur accordant tout le temps et l'empathie qu'elles nécessitent.

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jeudi 11 avril 2024

The Noah, de Daniel Bourla (1975)

noah.jpg, mars 2024

Solitude, folie et radiations Un homme seul (Robert Strauss pour son dernier film) dérive sur l'eau, à bord d'un radeau de fortune, et arrive sur une île vraisemblablement déserte perdue au milieu d'un océan inconnu. Des restes de matériel de propagande communiste jonchent les lieux. Il vérifie que  […]

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mardi 09 avril 2024

Blonde Vénus (Blonde Venus), de Josef von Sternberg (1932)

blonde_venus.jpg, mars 2024

Triangle amoureux et pathologique Pur produit du cinéma Pre-Code et accessoirement cinquième collaboration entre Marlene Dietrich et Josef von Sternberg, Blonde Venus s'était à l'époque illustré par une impopularité notable que l'on peut raisonnablement relier au rôle de l'actrice d'origine  […]

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lundi 08 avril 2024

D'Est, de Chantal Akerman (1993)

d-est.png, mars 2024

Travelling sur 2000 kilomètres Un dispositif extrêmement simple : filmer un voyage depuis l'Allemagne de l'Est jusqu'à Moscou au lendemain de la dislocation de l'URSS, sans aucun commentaire, sans aucun sous-titre. Avec seulement quelques séquences plus scriptées, en plans fixes, qui viennent  […]

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samedi 06 avril 2024

Des terroristes à la retraite, de Mosco Boucault (1985)

terroristes_a_la_retraite.jpg, mars 2024

Exil, résignation, rébellion L'histoire des unités "Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée" (FTP-MOI) et de Missak Manouchian est revenue dans l'actualité à l'occasion de son récent transfert avec sa femme au Panthéon, suscitant à cette occasion quelques remous au creux de  […]

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jeudi 04 avril 2024

Happy Together (春光乍洩, Cheun Gwong Tsa Sit), de Wong Kar-wai (1997)

happy_together.jpg, mars 2024

"Turns out that lonely people are all the same." Je referme (sans m'en être rendu compte) le chapitre Wong Kar-wai en terminant sur la période qui m'aura le plus convaincu et passionné chez lui, le tournant des années 1990 / 2000, fin du XIXe et début du XXe, avec la toile de fond de la  […]

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mardi 02 avril 2024

Ouvrir la voix, de Amandine Gay (2017)

ouvrir_la_voix.jpg, mars 2024

La sobriété du témoignage Ouvrir La Voix a les avantages et les défauts de sa radicalité (qui trouve son origine dans une absence de financement institutionnel) : deux heures d'entretiens avec des militantes qui revendiquent leur identité de femme et de noire, cadrées en plan serré sur leurs  […]

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lundi 01 avril 2024

Les Tambours de la nuit (夜の鼓, Yoru no tsuzumi, Night Drum), de Tadashi Imai (1958)

tambours_de_la_nuit_A.jpg, mars 2024

Solitude imposée de l'époque d'Edo Yoru no tsuzumi complète un tableau parfaitement subjectif chez Tadashi Imai formé par les quelques films que j'ai pu voir et explore une perspective extrêmement rare pour aborder la thématique du samouraï. À des années-lumière d'un chanmbara (classique ou  […]

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