Quel vertige de contempler l'amplitude du cinéma de Manoel de Oliveira, que j'avais à titre personnel découvert par son avant-dernier film de 2011, L'Étrange Affaire Angélica (réalisé à un peu plus de 100 ans, excusez du peu, quelques années avant sa mort à 106 ans en 2015), en revenant à la source de sa filmographie, pour son premier long métrage : Aniki Bóbó (1942). Expérience vraiment sidérante de parcourir 70 ans en deux films, en laissant un fantastique éthéré tout en légèreté pour accéder à ce récit d'apprentissage à Porto, à hauteur d'une bande de gamins. Le jour et la nuit en termes d'ambiances cinématographiques.
Le film tourne entièrement autour de la dynamique d'un petit groupe d'enfants, dans lequel on s'immisce grâce au code secret éponyme "Aniki-Bébé Aniki-Bóbó" (apparemment un équivalent portugais de Am stram gram) et plus particulièrement dans l'affrontement entre deux garçons, Carlitos et Eduardo, aux tempéraments opposés. Il y a avant tout une histoire de jalousie entre eux car une fille les intéresse tous les deux et ils cherchent à attirer son attention : l'un est maladroit là où l'autre est beaucoup plus entreprenant, ce qui ne tardera pas à alimenter des rivalités enfantines. Une évocation tout en douceur de l'enfance, en quittant rarement leur univers et leurs codes — les adultes sont presque absents du film, à l'exception de l'instituteur (inquiétant comme ils peuvent l'être dans les yeux des enfants) et du commerçant (principalement intéressant pour les bonbons et une poupée, à leurs yeux).
La mort jalonne leurs expériences, en marge des aventures quotidiennes au bord de l'eau, dans le port, dans les ruelles pavées de Porto ou près des chemins de fer. Des rêves aux couleurs expressionnistes, des sentiments amoureux, des histoires de trahison, une sensation de culpabilité qui gangrène tout un imaginaire... La palette des émotions de l'enfance dépeintes est d'une diversité émouvante, très nuancées dans leur description.
2 réactions
1 De Serge LEFORT - 11/02/2025, 09:14
Selon mon souvenir, Aniki Bóbó est un conte moralisateur :
. J'ai quand même aimé la mise en scène de Manoel de Oliveira et surtout la photographie de António Mendes. Je privilégie de plus en plus le directeur de la photographie, car c'est lui qui a le plus important rôle artistique. Le réalisateur est surtout un chef d'entreprise qui a la maîtrise du projet, mais délègue son exécution aux membres de son équipe.À partir de Francisca (1981), les films de Manoel de Oliveira sont devenus trop bavards à mon goût ou incompréhensibles comme Mon cas (1986).
À partir de Os Canibais (1988), beaucoup de ses films furent sponsorisés alors qu'il était alors connu et reconnu.
O Estranho Caso de Angélica (2010) reste son meilleur film et de loin grâce à Sabine Lancelin (photographie) et Maria João Pires (piano). C'est mon instrument préféré et j'ai presque toute sa discographie ainsi que celle de Mitsuko Uchida ????
2 De Renaud - 11/02/2025, 11:05
Oui, je pense que tout récit d'apprentissage comprend une part de morale, après tout est dans le poids de cette composante... Ici honnêtement je la trouve très légère, notamment grâce à cette hauteur de vue — au niveau des enfants, de leurs émotions, de leur vision du monde des adultes, etc.
Pour le reste, je suis d'accord sur le fait qu'on accorde très souvent trop d'importance au seul réalisateur et qu'on va trop souvent chercher des continuités logiques dans une filmographie (politique des auteurs, toussa toussa), mais certains sont quand même plus auteurs que d'autres il me semble (de Oliveira est de ceux-là à mes yeux), sans que cela ne nie le travail aux autres postes.
Et bien d'accord en ce qui concerne L'Étrange Affaire Angélica !