Nevermore est un délicieux polar dont les deux héros sont Sir Arthur Conan Doyle et le maître illusionniste Houdini. William Hjortsberg imagine ces deux copains devenus bon gré mal gré des détectives dans le New York des années 1920. Un tueur en série dans la ville imite les modus operandi des nouvelles écrites par Edgar Allan Poe : une personne enterrée vivante, une autre emmurée ou encore une autre fourrée dans une cheminée… Chaque meurtre est l’occasion de se remémorer ses Nouvelles histoires extraordinaires.

Hjortsberg exploite magnifiquement l’ambivalence de cette amitié réelle (en photo) entre un rationaliste sceptique en la personne de Houdini qui entendait démasquer les médiums, et un partisan du spiritisme qu’était notoirement Conan Doyle (et sa seconde épouse Jean Leckie). Hjorstberg fait une nouvelle fois preuve dans Nevermore d’un sens du romanesque dans ses enquêtes criminelles. L’idée est impudente mais exécutée avec une malice communicative comme pouvait l’être la construction de son roman culte et diabolique Le sabbat dans Central Park (aka Angel Heart).

Le casting est épatant rassemblant des sommités de l’époque comme le journaliste Damon Runyon (qui joue un rôle de premier plan), Jimmy Walker, Buster Keaton, King Oliver et Louis Armstrong. Houdini, en l'an 1923, est toujours une légende du spectacle de prestidigitation. Égoïste et excentrique, il entreprend de démystifier les spirites en n’hésitant pas à perturber leur représentation publique. C’est ainsi qu’il interrompt celle d’une de ses cibles les plus en vogue, Opal Crosby Fletcher prenant le nom de la déesse Isis sur scène. Elle choisit après l’entrave à son show de faire de Houdini son Osiris. On se marre en voyant Houdini tenter d’échapper à cette femme séduisante qui se prétend être la réincarnation de la déesse de la fertilité dans l’Égypte ancienne.

Lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois, Doyle est convaincu qu’Houdini est un puissant médium, qui discrédite les autres uniquement pour détourner l’attention de ses propres puissants pouvoirs. Hjortsberg s’amuse des conflits internes de ses personnages drôlement têtus. Ce duo improbable se mêle alors des affaires policières lorsque les horreurs du tueur en série font jour.

L’intrigue prend de multiples aspects des récits de Mauvais Genres : la dimension fantastique lorsque le créateur de Sherlock Holmes se met tout bonnement à discuter avec le fantôme de Poe lors de ses visites spectrales matinales impromptues, les horreurs avec le menu détail des meurtres commis par le criminel lettré, l’érotisme avec des scènes ouvertement sulfureuses ou encore le genre pulps au travers des péripéties finales dans une course contre la montre avec le tueur.

Le thème du spiritisme et le personnage d’Isis (Crosby) m’ont fait penser à la lecture de la nouvelle Infiltration de Connie Willis sur des journalistes en croisade contre les spirites ; deux auteurs qui partagent l’esprit et l’humour, en abordant la question de la croyance au surnaturel. La fin cathartique de Nevermore dans laquelle est évoquée une dernière fois une nouvelle de Poe intitulée La Caisse oblongue (1844) non traduite par Baudelaire, semble receler une dernière énigme. Ma suspension consentie de l'incrédulité a cédé et j'ai passé quelques heures à relire la nouvelle en question, la biographie de Poe, de Houdini et de Conan Doyle, en m’attardant sur le démembrement osirisiaque, pour élucider un dernier… choc des croyances. En bref, un pur régal pour les amoureux de Mauvais Genres.