Des premiers films de cet acabit, avec une assurance mesurée qui évite les excès démonstratifs tout en se risquant à formuler quelque chose de peu conventionnel, on aimerait en voir plus souvent. Situé quelque part entre l'austérité formelle et thématique de Bresson (genre Journal d'un curé de campagne, 1951) et le sujet précis de Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère de René Allio (1976), Vincent Le Port raconte l'histoire — vraie — de Bruno Reidal, un séminariste de 17 ans qui tua par décapitation un enfant de 12 ans au tout début du XXe siècle. Il n'y a aucun suspense dans ce récit (aucun répit non plus) puisque le premier plan montre le protagoniste dans l'exécution de son acte en hors champ, pour cette fois-ci, avant qu'il ne se livre de lui-même aux autorités. Le cadre est posé dans toute sa frontalité.
Toute la narration du film se construit comme une tentative de contextualisation de l'assassinat au travers du récit autobiographique de Bruno Reidal, suite à la demande du docteur Alexandre Lacassagne. Une tentative d'explication aussi, mais qui n'aboutira sur rien du tout à ce niveau. Défile ainsi, à l'écrit tandis qu'il met sur papier ses pensées (avec une rigueur d’écriture assez bluffante) ainsi qu'à l'oral via une voix off, une dizaine d'années dans la vie d'un enfant puis adolescent des campagnes. Un enfant bon élève, frêle, timide, chez qui le désir meurtrier enfle autant que le désir sexuel pour former une confusion manifeste entre ces deux pôles. Plus on avance vers l'acte brutal et sauvage de décapitation et plus cet acte grandit dans son caractère insondable. Tout au plus pourra-t-on comprendre certains enchaînements, certaines inclinations, mais rien de plus qu'une conception très vaporeuse des circonstances.
On comprend par exemple tout juste la toile de contraintes et d'oppressions qui s'abat sur le quotidien de l'enfant, la peur de la violence de la mère suite à la mort du père notamment, ainsi que la peur pieuse de la mort qu'il a envie de se donner, parfois, suite aux indications du prêtre au sujet de l'acte du suicide considéré comme peut-être le pire qui soit aux yeux de la religion. On se demande parfois s'il n'a pas choisi de tuer plutôt que de se tuer pour cette raison, pour ne pas s'interdire une potentielle rédemption compte tenu de l'aspect nécessaire grandissant de l'acte chez lui.
Quelques passages-clés se détachent du reste, comme la mise à mort du cochon en famille, une insolation qui a failli le tuer, ou encore la rencontre avec un berger qui l'a violé en le masturbant. La masturbation est d'ailleurs omniprésente dans le parcours d'apprentissage de l'enfant, jusqu'à la nausée. Mais le thème n'empêche en rien le film de s'envelopper dans une froideur proprement terrifiante, à mesure que ses fantasmes criminels remplissent l'espace de sa pensée dans un décor (et avec des acteurs) rural qu'on croirait sorti de chez Bruno Dumont, en version sudiste. L'obsession pour la mort se double chez le personnage d'un désarroi vertigineux, culminant dans les derniers instants avec l'empathie qu'il voit réservée à sa victime. Et là où Vincent Le Port a particulièrement réussi son film, c'est dans la décorrélation presque totale entre le dévoilement des tréfonds de la pensée de Bruno Reidal, que l'on parcourt de plus en plus minutieusement, et la compréhension de son être, qui restera encore à la fin largement partielle et mystérieuse. L'absence de remords, le contexte géographique et temporel, la quiétude générale, et le rythme extrêmement posé font du visionnage un moment intense, glaçant, et malaisant.
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Merci d'être passé par ici ! On m'a déconseillé la suite (je crois qu'il y en a…
30/11/2024, 18:41
Waow. Encore merci, incroyable. Le deuxième "épisode" vaut le coup aussi?
30/11/2024, 18:09